Macron et l’histoire

Tribune libre publiée sur le site internet du quotidien La Croix.

Des formules provocantes.
Emmanuel Macron a fait de l’histoire l’un des leviers d’une campagne en quête de consensus national. Dans une France « éclatée façon puzzle », il a voulu tenir compte de toutes les souffrances du passé, au risque de formules trop provocantes sur la colonisation « crime contre l’humanité » ou une « culture française » invisible. maAu-delà des couleurs multicolores et changeantes de ses discours, Emmanuel Macron a porté une vision à la fois cohérente et insatisfaisante de ce que devrait être notre rapport à l’histoire.
« consolider l’appartenance et la réconciliation des appartenances à la Nation ».

En marche vers un récit national unificateur ?
Le candidat a dit son désir de renouer « un fil historique ». S’étant mis en marche sur les pas d’historiens de la IIIe république comme Ernest Lavisse, « l’instituteur national », Il veut la « réconciliation des mémoires » par l’appel à des figures historiques variées.

L’ouverture post moderne.
En ne montrant pas comment relier des figures, Emmanuel Macron assume un certain éclatement mémoriel. Il se réjouit en effet d’appartenir à « un temps [où] tout est à reconsidérer » après la fin des grands messianisme politiques. Sa méthode est post moderne quand il veut aboutir à « une véritable histoire universelle convoquant tous les modèles et tous les phénomènes ». En acceptant le « débat critique dans ce qu’il a de plus complet et d’exigeant et de plus acerbe ».

Une vision émotionnelle.
C’est en enfant d’un siècle très émotionnel qu’Emmanuel Macron a voulu « d’une même main reconnaître la souffrance des harkis et des pieds noirs, et reconnaître celle des colonisés ». C’est en « bon élève » qu’il pense se sortir du scandale né de la concurrence des larmes. En « paraphrasant la formule du général de Gaulle aux partisans de l’Algérie française : -Je vous ai compris-. », il a ravivé des blessures anciennes. Il a aussi pratiqué une forme de marketing mémoriel ciblé. L’histoire lui a permis de traduire en symboles ses thèmes de campagne.

mLes psychologies consensuelles ont pu apprécier ses références prises à droite et à gauche. Les gens de l’ouest ont pu aimer sa visite vendéenne au Puy du Fou et son mot pour dire sur France Culture que « tout n’est pas bon dans la République » et d’autres auront aimé ses références aux Lumières, à Valmy et au Marquis de Sade.

Une histoire qui reste partielle.
La balance d’Emmanuel Macron finit par pencher plutôt d’un côté que de l’autre. En soulignant « l’aspiration à l’universel », elle se lit comme dans un miroir avec celle de François Fillon qui insistait sur « l’instinct de la liberté et de la grandeur ».
Cela reste politisé et orienté, sans pouvoir intégrer d’autres mémoires historiques, qu’il s’agisse de celle des électeurs de Jean Luc Mélenchon ou des références de ceux de Marine Le Pen. La question de l’intégration des enfants issus d’étrangers n’est pas non plus résolue par le symbole qui veut les faire « se situer au confluent d’un fleuve » pour entrer dans le courant d’un roman et d’un récit national.

Pour une histoire des choix et des valeurs.
Emmanuel Macron juxtapose des paroles, mais ne donne pas de solutions pour les faire vivre ensemble avec leurs morales opposées. Il contourne la question quand on lui demande sur France Culture s’il faut « célébrer la désobéissance » de ceux qui ont refusé de combattre en 1917. Il faudrait au contraire faire découvrir des modèles de frondeurs ou de patriotes et faire réfléchir sur les conséquences des choix des uns ou des autres, sans que la présence d’un personnage dans un cours n’oblige personne à s’y identifier.

Définir l’identité française comme un ensemble de choix et de préférences.
Définir la France comme une « aspiration à l’universel » risque de faire oublier les particularités d’un territoire. Elles naissent d’une série de choix et de bifurcations historiques. Les Français n’ont pas fait la même choses de leurs rois et de leurs parlements que les Anglais.
On trouve en France une priorité à l’Etat et la persistance de nuances régionales, l’austérité et la gauloiserie, l’enracinement villageois et les aventures lointaines. L’histoire des choix français passe aussi par celle de compromis discrets. On y voit un Etat qui ne reconnaît plus aucun culte en 1905 et réserve les églises au culte catholique et aussi un équilibre instable entre libéralisme et pouvoirs des syndicats.
Montrer ces courants dominants ou minoritaires, ces compromis et ces affrontements donne aux élèves la liberté choisir des identifications ouvertes, enracinées et nuancées.

Dans cette perspective, le rôle du chef de l’Etat serait de d’accepter un véritable pluralisme de l’enseignement du passé français et d’indiquer quels inflexions il veut donner aux compromis hérités de notre histoire.

Vincent Badré, professeur d’histoire géographie, auteur du livre « L’histoire politisée ? Réformes et conséquences », Editions du Rocher, 2016
Sources :
La fabrique de l’histoire, France Culture, 9 mars 2017, Transcription par le site du mouvement En Marche.
L’histoire hors série, Avril 2017.
Causeur, n°45, avril 2017.

Comment enseigner l’histoire du monde ? Vincent Badré auteur de L’histoire politisée sur France Inter.

Dans l’émission Grand bien vous fasse d’Ali Rebeihi, le débat entre histoire mondiale et récit national, en dialogue avec François Reynaert.
Quelle histoire ! Pourquoi et comment enseigner l’histoire du monde ?

Carte du monde en mosaïque sur les rives du Tage à Lisbonne
Ces dernières années de vifs débats opposent historiens, journalistes, vulgarisateurs et politiques sur la façon d’enseigner l’histoire. Au cœur des polémiques, la place du roman national comme vecteur d’appartenance à notre pays… Vainqueur par KO du premier tour de la primaire de la droite et du centre, François Fillon souhaite par exemple « réécrire les programmes d’Histoire avec l’idée de les concevoir comme un récit national ». Dans ce contexte polémique qui mêle pédagogie et idéologie, comment enseigner l’histoire du monde à nos enfants ? Une histoire foisonnante qui permet de comprendre certains enjeux contemporains.

Programmes d’histoire, la demi vérité de François Fillon dans son débat avec Alain Juppé

Comment se mettre en difficulté dans un débat télévisé de campagne électorale pour les primaires de « la droite et du centre » ? Il suffit de faire des erreurs factuelles et de parler trop vite pour exprimer une idée qui n’est pas tout à fait fausse.

Fillon se trompe sur le texte des programmes et des manuels, mais il a perçu des tendances bien présentes dans l’enseignement actuel de l’histoire. Les personnages qu’il cite comme Clovis sont pour certains bien présents dans les textes, mais sont relégués dans les programmes de l’école primaire et absents des textes officiels du collège. Il fallait sans doute en être resté aux polémiques sur la préparation des nouveaux programmes qui envisageaient de rendre l’étude des philosophes des Lumières facultative pour penser que Voltaire et Rousseau pourraient avoir disparu des programmes, mais les nouveaux programmes de collège ont supprimé les listes de personnages à connaître pour les remplacer par des problématiques générales. Les manuels et les instructions officielles montrent qu’il est tout à fait possible de parler de Jeanne d’Arc ou de Voltaire et Rousseau à l’intérieur des problématiques des programmes.

Le problème actuel des personnages dans l’enseignement de l’histoire n’est pas qu’ils soient absents mais qu’ils soient le plus souvent présentés bien trop rapidement et de manière dépersonnalisée. Robespierre en trente mots, c’est un peu court ! Contrairement à ce que dit Fillon, les élèves ont bien une idée de notre récit national; (Le récit du commun) les élèves savent que Louis XIV a existé, mais pas vraiment ce qu’il a fait de sa vie et de sa mort.

Sur l’idéologie, François Fillon n’a pas tord quand il dit « qu’on choisit les dates, les périodes, les hommes qui correspondent à l’idéologie qu’on défend », mais les textes actuels vont bien moins loin que les désirs idéologiques affichés par  Najat Vallaud Belkacem ou  Michel Lussault qui a dirigé la préparation des nouveaux programmes de la réforme du collège.

La solution de François Fillon, c’est la juxtaposition de mémoires opposées. Son discours de Sablé met côte à côte des héros opposés entre eux dans notre passé sans montrer comment conjuguer ces mémoires. Pour lui « La France c’est Saint Louis, Louis XI, Louis XIV, les révolutionnaires de 1789, Bonaparte, Napoléon III, la Troisième République, Gambetta, Thiers, Jules Ferry, Clémenceau, Jaurès, Poincaré, De Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac ».

Le livre L’histoire politisée? Réformes et conséquences remonte pour sa part aux racines de nos récits nationaux et propose des réflexions pour arriver à conjuguer nos mémoires au lieu de les laisser poursuivre leurs vieilles guerres civiles.

Rapport parlementaire sur la théorie du genre … et les manuels

Un rapport parlementaire (relayé par le site du Mondeaffirme un chose et contient son contraire. Il prétend qu’il n’existe que des études sur la construction en partie culturelle des identités de genre masculin ou féminin et affirme dans son développement qu’il faut « déconstruire les stéréotypes » pour remplacer un modèle réducteur par un autre. rapport-parlementaireSelon sa présentation officielle, il  » fait le point sur la signification du terme « genre » qui fait l’objet de nombreuses interprétations erronées. Soulignant, qu’il n’existe pas de théorie du genre, il permet de comprendre ce que sont les études de genre et pourquoi elles sont nécessaires pour comprendre notre société et tendre vers une égalité réelle entre les femmes et les hommes. »

Il a été réalisé à partir d’auditions de personnes généralement fortement engagés dans une lecture militante des études de genre et voté à l’unanimité par les membres de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, y compris 12 parlementaires Les républicains.

D’après la présentation qui en a été faite par ses auteurs il recommande (entre autres propositions) un renforcement de l’utilisation du concept de genre dans l’enseignement et les manuels scolaires :

« 15. − Compléter l’intégration de l’égalité femmes-hommes dans les programmes scolaires à travers des modules dédiés et des approches transversales dans les différents enseignements.
16. − Mieux intégrer le genre et l’égalité femmes-hommes dans les manuels scolaires :
→ en diligentant une mission d’évaluation des manuels scolaires, confiée à des chercheur.se.s spécialisé.e.s sur les questions de genre ;
en approfondissant, à la lumière de ce diagnostic, les instructions données aux auteur.e.s et aux éditeur.trice.s de manuels scolaires ;
en créant un label ministériel « égalité » pour les manuels dont les contenus sont adaptés à l’apprentissage de l’égalité femmes-hommes et à la déconstruction des stéréotypes de genre, pouvant s’appuyer sur la grille d’évaluation élaborée par le Centre Hubertine Auclert.
17. − Réunir ces outils dans un guide pratique de formation à l’égalité femmes-hommes destiné à l’ensemble des membres des équipes éducatives. »

Selon ce rapport il s’agit donc d’aller encore plus loin que ce qui se fait actuellement dans les manuels scolaires.

Ce que les élèves retiennent du récit national actuel

Une étude basée sur une grande enquête auprès des élèves rejoint une bonne part des analyses des livres L’histoire fabriquée? et L’histoire politisée ? :
Le récit national n’est pas mort, mais il est dépersonnalisé et désincarné; on ne parle plus tellement des actions de ses héros.
Il reste cependant national en continuant à laisser de côté ce qui « divise » : les régions, les luttes de classes ou la démocratie directe et sociale, la domination coloniale et la présence catholique dans l’histoire de France.
Il faudrait pourtant en arriver à une histoire qui sache montrer les élans, les choix et les divergences ou les compromis de l’histoire de France.

Extrait d’interview :

« A l’encontre de ce que disent bien des politiques…, les jeunes de manière générale entretiennent une relation affective et admirative avec ce qu’a été leur nation…
De grands personnages reviennent de façon massive. Si on les compare au Panthéon précédent finalement on retrouve Louis XIV, Charlemagne, Napoléon et Louis XVI en tête de classement. Les grands personnages sont toujours mobilisés par les élèves.
Cependant, B Falaize et L de Cock, qui ont travaillé pour le livre sur cette question, montrent que ces personnages sont convoqués plus comme des icones que pour les actes qui leur sont attribués. Ils sont beaucoup cités mais leurs actions peu explicités.
On avait l’hypothèse de différences de récits selon les régions, par exemple en Corse ou à La réunion. … au final on a affaire à un récit très nationalisé. La spécificité des îles n’apparaît pas massivement. …
La France, qui a existé de tout temps sur le même territoire, depuis la Gaule, a connu beaucoup de guerres et de rois qui ont abusé. Face à eux le peuple s’est révolté. Cela a abouti à la démocratie comme une sorte de « happy end » de l’histoire.
On est marqué par des absences. Dans le livre vous montrez l’absence de l’histoire coloniale. Mais on peut aussi souligner l’absence de l’histoire ouvrière. Comment l’expliquer ?
L’histoire coloniale est plus présente que la dimension sociale. Elle apparaît dans 300 récits. Mais c’est quand même fort peu.
Quant à l’histoire sociale, elle est écrasée par la notion de « peuple ». Les groupes sociaux ne sont que fort peu présents dans les récits.
Par contre pour les tenants du roman national, il faut préciser que ce récit est très laïcisé. On n’est pas dans le récit des origines chrétiennes de la France… Finalement le récit est très républicain.
Mais est -ce un récit qui aide à la construction du sentiment démocratique ?
Les élèves citent beaucoup la démocratie mais surtout à propos du vote. La démocratie pour eux c’est voter. La délibération, la démocratie sociale ils ne les évoquent jamais.
Françoise Lantheaume, Jocelyn Létourneau (dir), Le Récit du commun. L’histoire nationale racontée par les élèves, P.U.L., ISBN978-2-7297-0907-5

Aletheia : Gender dans les manuels, sortir des réactions instinctives.

Interview de Vincent Badré dans Aletheia :
Extraits :

Et en quoi la critique du Pape est-elle finalement fondée, même historiquement ?
Au XIXe siècle, on expliquait que la femme avait des seins, l’homme non et qu’elle devait donc porter les enfants, s’en occuper et rester à la maison. On insistait d’autre part sur le fait qu’elle était trop émotive pour faire de la politique ou diriger quoi que ce soit. En clair, il n’y avait que la nature.
Aujourd’hui, on veut exactement l’inverse : nier la nature, à moins d’être accusé de biologisme.
L’Église offre une troisième voie entre deux visions radicales et excessives en réalité. Saint Paul nous le dit : nous sommes incarnés, faits de chair, mais nous avons également un esprit. Le discours catholique est donc simple : nous sommes corps et esprits et nous devons faire la part des choses.
Nous sommes évidemment déterminés et contraints par notre héritage dans une certaine mesure, mais également libre de nous accomplir en tant que personne. Il faut commencer par accepter ce qui est pour ensuite exercer sa liberté. Il est vrai aussi qu’il y a de multiples manières d’exprimer sa masculinité et sa féminité et l’Histoire est très utile pour le réaliser.
Vous êtes justement professeur d’histoire, quels sont ces exemples ?
Quand Louis devint Soleil: Le Ballet Royal de La Nuit
On peut par exemple parler de Louis XIV qui pleurait comme une madeleine à chaque spectacle auquel il assistait. Il était très émotif, il était couvert de rubans et portait des talons hauts mais personne n’a jamais eu l’idée de lui dire qu’il était une fille !
On a également eu au XVIIe et XVIIIesiècles des femmes qui ont gouverné la Russie, l’Autriche et même la France, et qui n’ont pas laissé que de bons souvenirs à leurs ennemis ! Et pourtant, elles étaient bien des femmes, mais personne ne trouvait ça absurde à l’époque, il a fallu attendre le XIXe siècle.
Donc par l’histoire, on pourrait proposer des ouvertures aux enfants en leur montrant qu’il y a différentes manières d’être homme ou femme, sans leur plaquer un modèle pour en détruire un autre !
Propos recueillis par Charlotte d’Ornellas.
Image : Ballet royal de la nuit.

Tribune libre dans La Croix : Sarkozy et les Gaulois, combat de faux semblants et vraie crise d’identité.

Vincent Badré, professeur d’histoire-géographie
PAR LA-CROIX.COM
Texte complet avec liens à suivre.

Nicolas Sarkozy construit une arme d’instrumentalisation massive sur des apparences. Il déclare qu’à partir du moment où l’on devient Français, «on vit comme un Français et nos ancêtres sont les Gaulois» et nombreux sont ceux qui s’écharpent pour savoir si c’est vrai. Najat Vallaud Belkacem répond en lui faisant un petit cours d’histoire en partie faux lui aussi.

En utilisant les mots « nos ancêtres les Gaulois » Nicolas Sarkozy utilise des mots qui gênent et donne l’impression qu’il est proche des français « de souche » ; mais il parle en fait de la nécessité d’adhésion à une culture quand on obtient la nationalité française.

La polémique.
Najat Vallaud Belkacem est ravie de l’occasion de pouvoir donner pour sa part l’impression qu’elle est du côté de l’histoire véridique de la France de la diversité. Elle continue ainsi une apparence de lutte contre le « roman national » des « petits bonhommes dociles en uniforme récitant le catéchisme d’une France immémorielle et idéalisée » quand les programmes et les manuels d’histoire qu’elle a mis en place n’apportent qu’une légère inflexion dans ce sens.

Nicolas Sarkozy s’est remis au centre des polémiques en touchant un point très sensible, celui du rapport des français aux liens entre parents et enfants. La famille réduite au noyau fondamental des parents et de leurs enfants devient un sujet de passions radicales. Pour Yann Moix elle est insupportable et pour les opposants à la loi Taubira avoir « un père et une mère c’est élémentaire ».

[Les « véritables » identités françaises].
Ce clivage autour de la généalogie se retrouve à propos de l’histoire. La gauche sociétale dit avec Laurent Joffrin que le rappel d’une continuité généalogique majoritaire dans le peuple français est « totalement contraire à la véritable identité française, qui est celle du mélange » et discrimine ceux qui ont une autre origine. Elle reste par cela dans une pensée biologique. Selon Suzanne Citron, la Révolution française « s’est en effet inscrite dans un cadre raciologique, celui de la suprématie du tiers état, descendant des Gaulois sur la noblesse ayant les Francs pour origine » et l’historien Dominique Borne ne veut pas d’un enseignement de l’histoire qui serait généalogique.

La droite assimilationniste s’appuie au contraire sur une définition culturelle de la nation. Nicolas Sarkozy en donne une version radicale en disant qu’il faut « vivre comme un français » quand on le devient. D’autres intellectuels ou politiques ayant une origine en partie lointaine comme lui vont dans le même sens.  Les candidats à la primaire du parti Les républicains ont pourtant du mal à proposer une identité culturelle et un nouveau récit national réellement utilisable. Ils font des listes de personnages historiques à connaître, mais sans expliquer comment faire vivre ensemble racines chrétiennes et laïcité dans une identité heureuse (Juppé), Napoléon III et la IIIe république (Fillon) ou le Musée de l’Immigration et le Musée de l’Armée (Le Maire).

Raconter notre histoire.
Pour retrouver un rapport apaisé à notre identité historique il faudrait passer des oppositions de mémoires à leur conjugaison. Reconnaître sans les opposer les continuités du sol et des villages et les apports extérieurs. Des professeurs d’histoire de terrain comme Mara Goyet montrent qu’il est possible de le faire en racontant l’histoire du roman national et les réalités de notre histoire. Il faudrait devenir capables de faire comprendre les débats du passé, la beauté des points de vue opposés et de nos compromis historiques. Une identité culturelle, ouverte et riche serait capable de Il faudrait aussi penser des degrés d’adhésion libres et variés à une culture commune. Nicolas Sarkozy dit qu’il faut vivre « comme un français », mais il y a plusieurs manières de le faire en s’inspirant de toute la variété des personnages de notre histoire.

Sortir des polémiques en donnant la liberté aux professeurs d’histoire ?

Historienne reconnue de l’enseignement de l’histoire, Patricia Legris écrit : « Plutôt que de se demander s’il faut un roman national « de gauche », reposant sur une approche critique du passé, ou « de droite », sélectionnant des faits glorieux, ne pourrait-on pas choisir un enseignement de l’histoire dégagé de la finalité civique qui bloque toute réforme ? …

Ne peut-on pas enfin reconnaître que chaque classe, chaque enseignant, chaque établissement sont particuliers pour autoriser des programmes souples articulés autour de points obligatoires et d’options ? ».

Cette idée avait fait scandale lors de la présentation des projets de programmes actuels. L’idée d’une liberté de choix donnée aux professeurs avait ouvert une certaine angoisse de la dispersion et de la liberté. Ils risquaient de ne pas traiter la Chrétienté médiévale ou l’époque des Lumières. L’idée de liberté pour les enseignants n’est cependant pas à oublier totalement. C’est par elle qu’ils pourront déployer leur créativité et leurs goûts et intéresser encore plus leurs élèves.

Pour que cette liberté devienne possible il faudrait lui donner quelques règle de méthode, et en premier lieu celle qui ferait aux professeurs un devoir de présenter de manière réaliste la diversité des mémoires historiques françaises. Dans le texte des programmes, cela pourrait se traduire par le droit de développer plus ou moins tel ou tel repère de mémoire. Certains personnages ou événements pourraient être simplement évoqués pour mémoire tandis que d’autres seraient vus en détail.

Public Sénat, Grand entretien Vincent Badré, L’histoire politisée?

« La tentation qu’on peut avoir est de ne pas parler des débats » … « On a fait des manuels républicains, des manuels communistes, des manuels catholiques.  (…) On est prisonnier aujourd’hui de cette question de l’origine en se demandant où étaient finalement nos ancêtres ».

Selon lui, il faudrait montrer que l’identité est suffisamment large pour donner la possibilité à chacun  de s’inspirer de n’importe quel personnage historique.


Grand entretien : Vincent Badré par publicsenat

Il est possible de conjuguer nos récits nationaux

Grégoire de Tours, lecteur attentif : Merci pour la conclusion de l’article :  » Dans un chapitre intitulé « Comment trouver une histoire commune », il donne des pistes fort intéressantes qui permettraient de réorienter les programmes. …
Il faudra en conséquence faire appel chez l’élève moins à l’adhésion à un discours qu’au développement de l’esprit critique puisque les professeurs auront plus de marge dans leurs choix :
« La solution de polémiques sur l’enseignement de l’histoire se trouve peut-être dans une pensée de liberté. Liberté de choisir un exemple historique plutôt qu’un autre, un jugement positif sur un personnage ou sur ses adversaires et une pédagogie plutôt qu’une autre. Si l’idée d’un récit national unique et figé est une utopie irréalisable, la possibilité de construire plusieurs récits proches les uns des autres, réalistes, ouverts et joyeux est tout à fait réelle. C’est un travail qui commence ». (page 284)

Peut on obtenir la paix par un récit accusateur ?

C’est ce que pense Sébastien Ledoux, enseignant à Sciences Po et chercheur en histoire contemporaine à Paris-I, au Centre d’histoire sociale du XXe siècle dans une tribune publiée par Le Monde. 

Il veut « Un récit qui ne commande pas l’amour de la France, qui ne construit pas implicitement d’aversion ou de rejet envers des figures d’altérité irréductible (le juif, l’immigré, le musulman), ferment du nationalisme » en s’éloignant d’une « production narrative [qui] a, en tout cas, omis des faits historiques dont l’Etat français s’est rendu responsable (traite et esclavage, violences coloniales, persécution des juifs par Vichy). »

Pour « définir les contours d’une coexistence possible des Français dans un devenir commun au sein de la République du XXIe siècle. » il veut un « récit inclusif, [dans lequel] une place doit être consacrée aux immigrations depuis le XIXe siècle pour affirmer avec force le rapport dialectique de la construction nationale par ses apports extérieurs depuis deux siècles. Face aux discours identitaires actuels qui font écran au passé comme au présent et à l’avenir »

Note personnelle un peu énervée :

Il faudrait surtout sortir de cette opposition en noir et blanc pour passer à la couleur de la diversité de nos mémoires et des possibilité d’adhésion à nos héritages culturels et moraux.

Chronologie en histoire au collège, le demi mensonge de Najat Vallaud Belkacem

Extrait du livre « L’histoire politisée? Réformes et conséquences », relayé par le site Atlantico :
« «Mais non pas du tout !»: le gouvernement répond à l’accusation de supprimer la chronologie
Face à la fronde, le gouvernement a utilisé des tactiques habituelles en communication politique. Najat Vallaud-Belkacem utilise par exemple une vérité partielle pour prendre à contre-pied ses opposants quand elle déclare: «D’abord, et c’est prévu, il faut revenir à la chronologie pour permettre aux élèves d’acquérir des repères temporels solides.» Elle peut prétendre que ses opposants profèrent des «mensonges éhontés» en disant que les nouveaux programmes suppriment complètement la chronologie. En effet, les chapitres du nouveau programme sont rangés dans l’ordre chronologique.
Il faut voir aussi l’autre partie de la vérité, et la plus déterminante dans la réalité vécue des élèves: les repères de programmation prévus ne parlent que de thèmes à traiter. L’intérieur de ces thèmes est lui aussi thématique : «L’Europe de la Révolution industrielle: nouvelle organisation de la production, nouveaux lieux de production, nouveaux moyens d’échanges.» ».

Autres note de ce blog sur le même sujet : Une disparition en débat et presque rien n’avait changé sur le sujet en 2013.

A t’on enfin trouvé un manuel d’histoire féministe ?

L’image des femmes a-t-elle évolué dans ces manuels ? Elles y restent toujours aussi rares, entre 5 et 10% des documents présentant des personnages dans trois des quatre manuels de seconde publiés cette année. Le livre, L’histoire fabriquée ?, signalait qu’on ne trouvait dans les manuels de 2010 aucun exemple de femme de pouvoir ayant vécu au Moyen Age. En 2014, on a discrètement réglé le problème dans trois manuels sur quatre en citant des femmes exerçant les pouvoirs de la seigneurie, mais sans le signaler aux élèves et en oubliant toujours Aliénor d’Aquitaine ou Blanche de Castille.
Un manuel se distingue par son « féminisme » en donnant 28% de documents contenant des femmes. On y trouve, une mendiante, des corporations féminines, les lais de Marie de France chantant l’amour courtois et passionnel ainsi qu’un chevalier chaste parce qu’il se contentait d’une union légitime.

femmes moyen age manuel histoire féministe genderCes beaux exemples ce que les études de genre peuvent donner de plus intéressant sont malheureusement gâchés par deux pages relevant de l’idéologie du Gender. On y trouve Eve, des sorcières, puis une vierge à l’enfant et des exemples de chasteté avant de demander aux élèves pourquoi ce modèle est « inatteignable pour les femmes ». (Nathan Cote pp98-99).
Extrait légèrement modifié d’une chronique publiée dans le numéro de septembre/octobre de la Nouvelle revue d’histoire

Enjeux historiques, culturels et religieux du soutien aux minorités irakiennes

Extraits de deux articles de Vincent Badré publiés dans la presse :

Libération : Pourquoi intervenir en Irak ? 
[Contre le déracinement du monde]

Pourquoi se soucier du sort des Yézidis, des Shabaks, des Mandéens et des chrétiens Chaldéens et Syriaques ? C’est une manière de résister concrètement à la tentation du «choc des civilisations». L’Etat islamique détruit le «tombeau de Jonas». Il s’attaque aux monuments et aux groupes culturels et religieux qui témoignent de la complexité de l’histoire de l’Irak. En prétendant revenir à la pureté des origines de l’islam, il participe à la construction d’un monde contemporain totalement coupé de ses racines historiques.
[Retrouver des sources d’idées et la parenté des cultures]
Est-ce pourtant si grave de voir brûler des vieux manuscrits et disparaître quelques très vieilles religions ? C’est la destruction de réserves de poésie et d’inventivité humaine, c’est aussi la disparition des traces de notre parenté culturelle avec le monde arabe. Notre époque est tentée de ne voir que ce qui nous sépare du monde musulman, en oubliant qu’il s’est aussi nourri de sources souvent communes tout en les transformant autrement. Le philosophe grec Aristote a été traduit et lu avec passion sur les rives du Tigre et de l’Euphrate avant de parvenir sur celles de la Seine. Retrouver des chemins de rencontre peut passer par la conscience de cette parenté culturelle. Les cultures peuvent aussi se rencontrer dans la redécouverte de leurs racines, à condition qu’elles n’aient pas été coupées.
[Des racines vivantes]
Parmi les leçons de vie, de joie et d’hospitalité que j’ai reçues en Irak, je retiendrai aussi le témoignage d’un rapport joyeux et décontracté entre les racines historiques. Nous étions devant la porte fermée du tombeau de Saint Behnam, près de Qaraqosh ; l’un des prêtres présents reprend en rigolant un chant sacré où Saint Pierre avoue qu’il a perdu les clefs du paradis, et un autre sort son portable pour qu’on aille chercher la clef. Cet épisode montre un patrimoine qui n’est pas un objet mort oublié dans un musée, mais qui reste une école d’humanité.

La Croix : Enjeux du soutien aux Chrétiens d’Orient :
Les souffrances des Irakiens sont une occasion de ne pas opposer les solidarités. Elles font se retrouver des gens qui viennent d’horizons politiques et spirituels différents, qu’il s’agisse de ceux qui se soucient des chrétiens, de l’indépendance des Kurdes ou des minorités oubliées et isolées comme les Yézidis, les Chabaks ou les Mandéens, mais aussi de ceux qui pensent aux souffrances des Irakiens sunnites et chiites. [ …]
La culture des chrétiens d’Orient peut aussi nous donner des exemples de vie avec un patrimoine et des traditions vivantes. Ils peuvent recouvrir de très anciens monastères de marbres neufs et se passionner pour la finesse psychologique des manuscrits anciens.
[Liturgie entre beauté ancienne et moderne]
Ils pouvaient aussi faire alterner dans une messe au village de Bartella des chantres traditionnels, enfants et pères de famille réunis autour de leurs lutrins, et une chorale moderne entonnant un chant de sortie sur l’air de « Ce n’est qu’un au revoir mes frères ».
[Charité]
En rencontrant les chrétiens d’Orient on découvre aussi de fragiles floraisons de la grâce et de l’espérance. Les missions humanitaires de l’association Fraternité en Irak nous ont permis de découvrir les projets d’aide et de prière de Sœur Amira, une énorme fête autour d’une association de handicapés, des « moines dans la ville » ou de beaux mariages. [ …]

La voix est libre / Radio Notre Dame : Existe t’il toujours une histoire de France ?

Mardi 26 novembre 2013.
« Existe t’il une seule histoire de France? »
Emission d’Alexandre Meyer, « La voix est libre » sur Radio Notre Dame : Jean Sévillia et Vincent Badré.
Ecouter l’émission
Thèmes et textes évoqués :

L’histoire passionnée de la France, par Jean Sévillia.

Nécessité d’un regard pluraliste sur les personnages historiques.
« Sortir de l’unilatéralisme peut être un moyen de guérir la mémoire nationale en assumant la diversité des faits [et des régions] qui la composent. Montrer que Jeanne d’Arc n’a pas seulement été une personne qui a augmenté le rôle de l’État en France, une sainte ou une fille du peuple, mais un peu de tout cela, dans des proportions difficiles à mesurer. »
Vincent Badré, dans la revue Le Débat. 

(Jeanne d’Arc, figure « de gauche », une femme du peuple victime des puissants).

Peut on retrouver des personnages « modèles »?
Dans une histoire qui n’oublie pas les actions des hommes, des saints et des saintes ou des justes, des héros et des hommes ordinaires, il est possible d’alimenter une réflexion morale sans tomber dans le moralisme.
Sans forcément approuver les choix des hommes du passé, on peut les découvrir dans leurs particularités et dans leurs aspirations.

L’ébéniste Brousse, un communard :
« Ouvrier menuisier ébéniste à l’âge de 18 ans, je quittais mes foyers pour faire mon tour de France, travaillant le jour, étudiant la nuit : l’histoire, voyages, philosophie, économie sociale et politique, …. Arrivé à Paris en 1864, je m’établis deux ans après ébéniste réparateur 2, rue Joquelet, J’occupais 1 à 3 ouvriers, je les payais 50 c. par jour plus cher que le prix officiel et je leur faisais la propagande par-dessus le marché. J’ai pratiqué l’association tant que j’ai pu. » Source : Cliotexte.

Blaise Cendrars, suisse et engagé volontaire dans la première guerre mondiale:
Des étrangers amis de la France, qui pendant leur séjour en France, ont appris à l’aimer et à la chérir comme une seconde, patrie, sentent, le besoin impérieux de lui offrir leurs bras.
Intellectuels, étudiants, ouvriers, hommes valides de toutes sortes – nés ailleurs, domiciliés ici – nous qui avons trouvé en France la nourriture de notre esprit ou la nourriture matérielle, groupons-nous en un faisceau solide de volontés mises au service de la plus grande France.
Source : Appel aux étrangers vivant en France.

La surpopulation dans les manuels de géo et d’histoire

Un article dans le numéro hors série de L’homme nouveau « Enquête au cœur de l’eugénisme« .
Extraits :  » La juxtaposition des images peut construire un raisonnement implicite. Un manuel présente ainsi la une du Point sur la « bombe humaine » (une terre entièrement occupée par une foule), une page de Sciences et Vie « nos besoins épuisent trop vite la planète » et en sens inverse une couverture de Valeurs actuelles : « Arrêtons de nous faire peur ! », sans qu’aucune de ces phrases chocs ne soient sérieusement argumentées. » …

La croissance du nombre des hommes peut être plus forte que celle des ressources, mais elle est surtout plus faible que celle des connaissances et des inventions. Selon Simon Kuznets, des hommes plus nombreux permettent de multiplier la croissance du stock de savoir utile pour mieux extraire, inventer et d’échanger des biens et « transformer la malédiction démographique en bienfait ».

Pour lire l’ensemble de l’article et bien d’autres informations sur le sujet du néo malthusianisme >>>.

L’histoire au Journal de 20 heures sur France 2 : Débat sur la disparition de la chronologie.

Reportage : « Depuis plusieurs années, une approche thématique est privilégiée. Plusieurs grands noms de l’Histoire française demandent aujourd’hui un retour à la chronologie. Pour eux, les élèves manquent de repères. … Jusque dans les années 90, l’enseignement de l’histoire était chronologique. A gauche, un manuel de 1994, à droite, un manuel de 2012. Dans le premier, les chapitres s’enchaînent chronologiquement. On y étudie la guerre de 14-18 puis la révolution russe de 1917 et enfin la crise de 1929. Dix ans plus tard, le contenu est chapitré par grands thèmes. La crise de 29 est ainsi traitée avant la guerre de 1914-18 et avant la révolution russe de 1917.

Pour certains profs d’histoire, le risque est de perdre en compréhension. (Hubert Tison de l’APHG) Exemple avec la Seconde Guerre mondiale. Ça commence par les grandes phases, mais les raisons ? On n’en sait rien. Il y a l’expansion de l’Allemagne nazie. Les raisons, vous les trouvez plus tard. On les trouve dans le thème « Les totalitarismes ». Tout est mélangé, il faut emboîter les choses autrement, c’est difficile pour un professeur et les élèves sont perdus.

Mais selon marc Ferro, inutile d’apprendre par cœur une litanie de (nombreuses) dates. L’important est de comprendre l’enchaînement des évènements. Il faut quatre ou cinq points d’ancrage, pas plus. Il y a pour le Moyen Age les invasions, les croisades, Saint-Louis. »

Source et image : Transcription du texte du reportage de France 2 sur le sujet, qui provoque la colère du blogueur prof d’histoire de Rue 89, qui nie le fait que bien des manuels adoptent une approche thématique de la succession des chapitres, mais aussi à l’intérieur des chapitres et de l’enracinement des dates et des personnages dans le déroulement du cours.