Les manuels scolaires vus par le Monde diplomatique : une défaite de la raison ?

Le dossier à leur sujet commence par un constat de bon sens « Le recours nécessaire, même pour le meilleur et le plus soigné des manuels, à une certaine simplification représente à la fois le défaut majeur du genre et sa principale caractéristique. Aujourd’hui comme hier, il intègre un biais dans la sélection et la présentation des contenus. [en] histoire … les choix s’opèrent logiquement sur la base des intérêts politiques du moment. »

Les articles suivants n’arrivent cependant pas à donner une idée précise des déformations qui affectent la sélection des contenus choisis par les auteurs de livres scolaires. L’un d’entre eux nie même que ces distorsions puissent avoir la moindre importance, ce qui est contestable. Le Monde diplomatique se contente d’exemples « positifs ou négatifs », sans entrer dans une analyse comparative, rationnelle et nuancée.

La sélection d’extraits de textes critiquant des manuels « marxistes, islamistes, altermondialistes », mais aussi véhicules de la « théorie du genre sexuel » et des critiques de la Ligue du nord italienne n’est suivie d’aucun examen de la véracité de ces critiques.

En sens inverse, un article dénonce l’effacement de l’analyse marxiste dans les manuels d’économie en partant de quelques citations. D’autres citations extraites de manuels promettent l’enfer aux non musulmans pour les petits saoudiens, accusent les arabes d’être responsables du conflit avec israël pour les jeunes américains et demandent à des lycées français « Quels sont les avantages de la libre circulation des marchandises ? ». C’est un curieux amalgame et surtout un raisonnement par un exemple, ce qui ne prouve pas grand chose. Cette question sur le libre échange est tirée d’un manuel qui consacre par ailleurs une de ses biographies et deux documents à Keynes.

Il faut une analyse plus large pour s’apercevoir que les manuels d’histoire actuels consacrent peu de place à la question du libre échange, et généralement avec des documents qui lui sont favorables et sans leur opposer des questions critiques.

Le problème des manuels n’est pas tel ou tel document pris isolément, mais leur tendance à privilégier une seule perspective. Les économistes cités dans les manuels d’histoire sont par exemple très souvent dans le courant dominant de centre-gauche au lieu de montrer aux élèves des lectures inspirées de la lutte des classes, mais aussi des analyses libérales.

Les nuances manquent aussi dans l’analyse du « Diplo », La persistance d’une image très XIXe siècle de la femme à la maison et du mari qui bricole dans les livres de mathématiques est tout à fait réelle, mais l’article ne dit rien du fait que les manuels d’histoire oublient les femmes d’action au Moyen Age et bien souvent aussi de nos jours. [pour aller plus loin, voir les chapitres correspondants dans L’histoire fabriquée ?, toujours disponible en librairie].

Homosexualité dans les manuels scolaires en débats

Il y a de nombreuses réactions suite aux déclarations de Najat Vallaud Belkacem qui demandait que les manuels signalent l’homosexualité de certains des auteurs qu’ils citent, au risque de l’anachronisme et de la déformation de l’histoire.
Gérard Leclerc critique sur Radio Notre Dame dans son éditorial (son) la présentation anachronique qui est faite des oeuvres de Proust ou de Rimbaud, et le fait qu’on oublie la fin de la vie de celui ci, parti dans les déserts d’Abissynie, et vivant avec une femme. Il ajoute « Nos lycéens vont-ils être invités à réfléchir à ce changement d’orientation au risque d’un réel trouble dans l’idéologie LGBT ? » il y voit « une intervention violente en littérature et en histoire. »
Dans le Grand Témoin de Radio Notre Dame (son), Philippe Ariño rappelle brièvement que s’il fallait parler du sujet de l’homosexualité d’écrivains il faudrait aussi en rappeller la face sombre et violente, ou le fait que Marcel Proust était aussi actionnaire d’un bordel homosexuel.
LCI présente la dépêche et une réaction de parent d’élève

L’article de la chaîne d’information continue cite le militant homosexuel Louis Georges Tin pour qui il faudrait parler des pratiques homosexuelles d’auteurs ou de personnages historiques car « On vous parlera de Louis XIV et de ses maîtresses, moins de tel autre roi et de ses amants. » comme « Henri III [qui] a été assassiné est parce qu’il a été considéré à tord ou raison comme homosexuel. ». Ceci n’est pas exact pour Henri III assassiné pour avoir tué le chef de la Ligue catholique et brisé les Etats Généraux de 1588 qui voulaient réduire son pouvoir. (Histoire fabriquée pp 81-83)
C’est inexact aussi car les manuels ne parlent plus du tout des amants et des amantes ou même des épouses. Leurs personnages sont devenus des épures asexuées qui ne sont même plus « hétérosexuelles ».
Le philosophe Thibaud Collin crique au contraire un risque d’anachronisme et de réduction de la complexité des choses:  » Il est effectivement difficile de parler de Proust sans parler de son homosexualité mais de réduire un auteur ou un personnage à cela, sûrement pas ! Vouloir projeter sur l’œuvre de Rimbaud, exemple donné par Najat Vallaud-Belkacem, cette identité gay est extrêmement réducteur. »