Peut on parler du génocide des juifs sans parler des « Justes »?

Une étude internationale menée par l’UNESCO se penche sur l’enseignement de l’holocauste. Elle présente la manière dont les différents pays enseignent la tentative d’extermination des Juifs menée par les nationaux socialistes pendant la seconde guerre mondiale.
En travaillant sur la manière dont les nouveaux manuels de première français en parlent, j’ai eu la grande surprise de constater qu’ils accordaient très peu de place aux « Justes ».
Quatre manuels sur huit ne disent pratiquement rien sur ceux qui ont risqué leur vie pour sauver des Juifs menacés par les nazis et seul un manuel leur consacre deux pages.
Comment comprendre cette omission ? Il peut s’agir d’une vision restrictive du programme ou de l’influence d’un certain fatalisme. En effet, notre époque désabusée sur les vertus de l’engagement n’a pas spontanément le réflexe de mettre en valeur ceux qui se battent pour lutter contre le mal.

Plus de détails à ce sujet dans « L’histoire fabriquée? » pp 175-176

Précisions à propos d’un article du Figaro Magazine

Ce journal a publié un article sur l’état actuel de l’enseignement de l’histoire qui a donné lieu à une polémique sur certains sites internet. Cet article fait une présentation de L’histoire fabriquée? en reproduisant certains des titres de chapitres de ce livre.

Ces titres décrivent les affirmations excessives on incomplètes de certains ou de tous les manuels actuellement en usage.

L’un de ces titres a été modifié par le Figaro Magazine. Il écrit en effet “L’Islam progresse en Europe au Moyen Age grâce à sa tolérance.” Le titre présent dans le livre est “L’islam progresse grâce à sa tolérance”. Cette phrase ne s’applique pas à l’Europe, mais aux régions sous domination musulmane aux premiers siècles de l’Islam, de l’Espagne à l’Iran.

Quatre manuels de cinquième sur six affirment en effet que le statut de dhimmi (protégé de l’islam) est une marque de “tolérance” (les références sont dans le livre L’histoire fabriquée?). L’ancien cours de CM1 proposé par le site “académie en ligne” affirmait explicitement que l’islam “doit son succès à sa tolérance”. Ce cours a été modifié depuis.

Que reste-t-il des luttes ouvrières dans les manuels d’histoire ?

Les ouvriers souffrent beaucoup et luttent assez peu. Plus généralement, la vie et l’expérience ouvrière est présentée dans le manuels, mais le plus souvent sur un mode compassionnel. La présence même d’une mémoire ouvrière a tendance à s’effacer des nouveaux livres scolaires.

Dans un chapitre sur le patrimoine parisien, quatre des sept nouveaux manuels de terminale ne citent pas un seul élément à propos de la vie populaire parisienne. Un manuel parle par exemple de la destruction des halles construites par Baltard au XIXe siècle sans évoquer le peuple des « forts des halles » qui y avait longtemps travaillé.

Certains manuels abordent alors le Paris révolutionnaire d’une manière qui n’est pas très éloignée de celle de Lorant Deutsch. On peut par exemple y lire que « les destructions de monuments [sont] une constante des révolutions ». Cela n’est que partiellement vrai, la révolution française a détruit des monuments, mais elle a aussi été l’époque de l’émergence de la notion de patrimoine à préserver.

Les nouveaux programmes de terminale L et ES demandent de parler de l’histoire du mouvement ouvrier allemand, ce qui pourrait permettre de faire réflechir sur le rôle des luttes dans les conquêtes sociales. Les manuels ne profitent pas de cette occasion pour montrer que c’est la menace d’une grève générale votée à plus de 90% par les ouvriers du syndicat unifié de la métallurgie qui a permis d’imposer la loi sur la cogestion des entreprises votée dans l’Allemagne de l’ouest de 1951.

Vous trouverez de plus amples développements sur ces sujets dans L’histoire fabriquée ?
Source de l’image.

Que reste-t-il des héros de la guerre de 1914-1918 dans les manuels d’histoire ?

Dans les huit manuels d’histoire de première publiés en 2011, Bécassine est le seul exemple d’engagement volontaire dans le premier conflit mondial. Les nombreux autres témoignages de soldats qui se trouvent dans ces livres parlent de leurs souffrances, mais pas de leurs raisons de se battre.

Cela rejoint l’analyse d’Hubert Tison, secrétaire général de l’association des professeurs d’histoire-géographie. Il a en effet déclaré à l’AFP que dans les nouveaux manuels de 3e, « les maréchaux Joffre et Foch disparaissent. Le rôle de Pétain pendant la Première Guerre mondiale n’est souligné que chez Belin » ce qui l’amène à se demander comment il sera possible d’expliquer le prestige de Pétain en 1940 sans avoir montré son rôle dans la bataille de Verdun et dans le règlement de la crise des mutineries de 1917 alors que « Les mutineries de la Grande Guerre disparaissent aussi ».

L’histoire fabriquée ? analyse les nouveaux manuels de première et de terminale et ceux-ci vont assez largement dans le même sens. Les héros et les généraux de la Grande guerre sont très peu abordés. On n’y trouve pas des pilotes d’avion audacieux et des engagés volontaires, mais uniquement des soldats souffrants, ce qui conduit à une vision partielle et abstraite de la guerre.

Les manuels présentent Bécassine, un personnage d’illustrés pour enfants, comme seul exemple d’engagement volontaire. Cette domestique bretonne stupide mais pleine de bonne volonté ne comprend rien à rien, mais elle est tout de même engagée comme infirmière.

L’engagement volontaire de 29935 volontaires étrangers dont les écrivains Guillaume Apollinaire et Blaise Cendrars n’est pas cité. On ne trouve pas non plus trace de Jean Corentin Carré ou de Louis Pergaud, l’auteur de la Guerre des boutons.

Cet oubli est il le résultat d’une idéologie pacifiste et anti nationaliste ? C’est sans doute en partie vrai, mais c’est aussi le résultat d’une approche souvent abstraite et dépersonnalisée de l’histoire.

On ne trouve en effet pas non plus tellement de détails sur la petite minorité qui a critiqué cette guerre dès le début, du Pape Benoit XV en novembre 1914 aux participants du congrès de socialistes partisans de la paix dans la ville suisse de Zimmerwald en 1915. On n’y lit pas non plus le récit par l’institutrice Emilie Carles du parcours de quelques anarchistes qui sont rentrés dans la clandestinité pour ne pas participer à la guerre. 

Vous trouverez de plus amples développements sur ces sujets dans L’histoire fabriquée ?
Image

« L’histoire fabriquée? » Un livre de Vincent Badré aux Editions du Rocher.

Nos souvenirs d’histoire scolaire nous laissent souvent un sentiment d’inachèvement ; comme l’impression qu’il manque une vision claire et juste de l’Histoire de la France et du monde.

Les manuels scolaires témoignent indirectement de ce qui est enseigné. Ils oublient de grands personnages et des récits essentiels, noircissent certaines périodes et masquent les défauts d’autres époques. Devons-nous exercer notre vigilance contre la résurgence d’un « roman national » mis au service de desseins politiques ?
Ou faut-il, au contraire, déplorer la disparition des héros de l’histoire de France remplacés par un enseignement du dénigrement ?

L’histoire fabriquée ? montre comment ces manuels peuvent flatter les sensibilités du moment, en dévalorisant par exemple les identités et l’engagement social ou patriotique. Il s’appuie sur les manuels pour trouver des perspectives historiques plus réalistes et présente de manière accessible et claire les grandes questions historiques.

Cet ouvrage se nourrit des lectures d’un enseignant de terrain, des travaux de recherche et des livres les plus novateurs. Son objectif est de permettre de réfléchir librement aux grands événements historiques, de l’Antiquité à nos jours, en apportant une vision plus ouverte à la diversité des points de vue.