L’histoire fabriquée? un livre iconoclaste, mais de quelle image de l’histoire?

Le Figaro a mis en « une » l’image brisée de Vercingétorix, Bonaparte, Henri IV et Clémenceau, accompagnée du titre « Qui veut casser l’histoire de France? ». Ces figures anciennes de l’histoire de France sont en effet remises en cause ou en grande partie écartées de l’enseignement actuel au nom de la lutte contre un « roman national » qui paraît « insupportable » à certains. De mon point de vue, il n’est pas inutile de poser des questions critiques au modèle d’histoire de France transmis par l’école de la IIIe République; mais sans tomber non plus dans un roman inverse qui mettrait en place des icônes accusatrices à la place de l’image trop lisse des « gloires de la France » : Bécassine, seule engagée volontaire de la guerre de 14-18, les mains coupées comme symbole de la réalité de la colonisation, l’eurosceptique solitaire et déséquilibré, la large gueule de l’enfer engloutissant les âmes au Moyen Age.

Le renouveau de l’enseignement de l’histoire passe par une ouverture au pluralisme des recherches et des approches. Il faut pouvoir s’appuyer sur des recherches sérieuses venues d’horizons divers et montrer la complexité et les nuances du passé. Certaines parties des manuels actuels montrent qu’il est possible d’éviter une histoire qui ne verrait que des touches noires ou que des touches blanches dans le passé.
Images, Figaro Magazine, 24 août 2012; Montage personnel, (dans le sens des aiguilles d’une montre :

Une critique fabriquée

« L’histoire fabriquée ? » est un livre qui fait partie d’une « vague brune », selon une expression « particulièrement bien choisie ». C’est un livre dont les « erreurs de papier peuvent aussi faire mal ». Il est « terriblement ennuyeux » et son auteur est un mauvais élève, qu’il faut reléguer « au fond, à droite », contre le mur. C’est un livre qu’il faut censurer par le silence, et les journalistes qui en ont déjà trop parlé sont des « irresponsables.
Un éloge indirect.  Les auteurs du site Aggiornamento Histoire geo, repris par le site du CVUH et par Médiapart ont commencé par critiquer le livre sans l’avoir lu, en parlant de « contre-vérités » à propos des manuels d’histoire.
Le compte rendu de lecture de « L’histoire fabriquée ? » publié par le site Aggiornamento Histoire géo est bien plus prudent et ne contient plus aucune critique de mon analyse des manuels scolaires actuels.
Des erreurs fabriquées.
La critique s’est reportée sur les contrepoints historiques apportés par « L’histoire fabriquée ? »
L’auteur du compte rendu de mon livre, Benoît Kermoal a trouvé « une erreur qui détruit à elle seule tout l’argumentaire de ce mauvais livre ». Le seul problème de son analyse est qu’elle se fonde sur une déformation du texte du livre qu’il critique. Cela permet d’y trouver une contradiction apparente et de dire que le livre « fait mal » en méconnaissant les souffrances arméniennes.
La seule autre erreur expliquée par sa critique concerne les 16% de députés socialistes qui ont collaboré avec l’Allemagne pendant la guerre de 39-45. Benoit Kermoal dit qu’il s’agit seulement de ceux qui ont voté les pleins pouvoirs à Pétain, et ignore manifestement que les députés socialistes SFIO de 1940 qui ont voté ces pleins pouvoirs étaient bien plus nombreux, avec 56% du total.
Un procès politique ?
Selon les auteurs du site Aggiornamento, il n’y aurait pas  d’historiens de droite ou de gauche et eux-mêmes ne seraient pas de gauche, cependant j’aurais le tort de citer des historiens « réactionnaires ».
Le choix du pluralisme.
Ma naïveté a sans doute été de ne pas lire que des historiens qui flatteraient ma propre sensibilité. Il s’agit du choix de rechercher les travaux historiques les plus utiles, d’où qu’ils viennent. Avoir sa sensibilité  ou ses préférences ne devrait pas empêcher de lire et de chercher une meilleure compréhension des faits historiques.
Le débat n’est pas terminé.
Benoît Kermoal reproche aussi à « l’Histoire fabriquée ? » de ne pas aborder toutes les questions et de ne pas faire référence à toute la bibliographie disponible. De nombreux éléments de l’enseignement actuel ne posent pas de problème, et bien d’autres pourraient être analysés suivant la méthode adoptée par « L’histoire fabriquée ? ». Le travail de réflexion sur l’histoire enseignée continue.  
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Islamophobie ou islamophilie : L’islam dans l’enseignement de l’histoire.

Les polémiques actuelles sur une vidéo et des caricatures critiquant l’Islam et Mahomet ou L’agression d’un professeur d’histoire de Bordeaux après un cours évoquant l’islam reposent la question de la présentation de l’islam dans les écoles françaises. La victime de cette agression demande plus de laïcité et plus de connaissances. On peut surtout souhaiter trouver plus d’histoire sur le sujet dans les manuels scolaires.
Représentant l’opinion moyenne des professeurs d’histoire, ils n’osent généralement pas critiquer l’islam, font des éloges un peu vagues de la civilisation musulmane, mais ne savent par faire comprendre la culture arabo musulmane.

La peur d’offenser ou de froisser les élèves musulmans peut conduire les manuels à surévaluer la tolérance de l’islam et à écrire des phrases telles que : « Les ottomans instituent le devchirme créant une voie d’ascension sociale au service de l’Etat. Celui-ci consiste à prélever … des enfants chrétiens. A la différence de la règle générale les recrues sont converties de force à l’islam … [et] sont ensuite formées au métier des armes pour constituer les redoutables janissaires.»  (Histoire Fabriquée?, p42)
Il s’agit ici pour les nouveaux manuels de seconde d’atténuer l’impression de “choc de civilisation” produite par un nouveau programme de seconde qui ne présente l’Islam que dans un moment de conflit; quand les Turcs Ottomans prennent Constantinople en 1453.
L’oubli de la critique historique.
Le nouveau programme de cinquième demande aussi une “contextualisation des débuts de l’Islam” à partir de “sources historiques” et des textes musulmans qui doivent être “datés en relation avec ce contexte”. Les manuels n’ont pas osé aller réellement dans cette direction et en restent souvent au récit musulman traditionnel de la vie de Mahomet.

Alors, que faire?
Poser des questions historiques sans blesser des convictions.
L’histoire ne sait pas tout du passé de manière précise. Montrer quel est l’espace d’incertitude qui voile certains aspects des débuts de l’islam est possible et nécessaire. Pour le faire sans blesser inutilement, il faut rappeller que l’histoire pose des questions sur le passé, quand la religion adhère à un message insèré dans une histoire. La tradition musulmane a gardé des traces des débats entre les premiers musulmans à propos de la bonne version du Coran ou des récits de la vie de Mahomet rédigés à la fin du IIe siècle après le début de l’islam. Le livre “L’histoire fabriquée?” donne la parole aux recherches actuelles, par exemples celles sur les premiers grafitis musulmans du “Coran des pierres”. Il le fait en gardant à l’esprit qu’il s’agit de poser des questions sur cette histoire, sans apporter de conclusions définitives. (Histoire fabriquée? pp 39-42)
Retrouver une histoire précise qui donne la juste mesure de l’apport de la civilisation du temps des Califes dans les progrès des sciences, en particulier en mathématiques. Cela permettrait d’éviter que certains élèves croient de bonne foi que les musulmans auraient “inventé la médecine” ou “les mathématiques” et que d’autres croient à l’inverse que les progrès des sciences en terre sous autorité musulmane seraient une idée reçue sans fondement.
Savoir découvrir une culture différente.
Les programmes, et la culture scolaires actuelles ne permettent pas non plus de parcourir les cours d’un palais musulman comme l’Alhambra en écoutant ce qu’en disent les calligraphies qui en ornent les murs.
« Le fond du bassin évoque une masse de glace d’où l’eau s’écoule comme un solide au mouvement figé. Du bord de la fontaine, le flot ruisselle vers de longs canaux – larmes longtemps retenues échappant à une amante. » (Poème d’Ibn Zamrak, Cour des lions, Alhambra de Grande, cité par Henri Stierlin, L’Alhambra, Imprimerie nationale, 1991) Image.

L’histoire Fabriquée ? sur France Inter 5 7 de Laurence Garcia 15 09 12

Comment conjugue-t-on le verbe « rêver » au passé simple, au présent impatient et au futur incertain ?
C’était mieux avant ou ce sera mieux demain ? Voilà pour le programme de notre assiette anglaise du petit matin.
 « L’histoire fabriquée ? Ce qu’on ne vous a pas dit à l’école », c’est le dernier pavé dans la mare de l’Histoire, signée Vincent Badré. Et il connaît bien son sujet, ce prof d’histoire géo qui s’attaque à la bible de l’historien : le fameux manuel. Des manuels trop politiquement corrects qui ne disent pas toujours toute la vérité. Voilà pour l’invité polémique à 6h20.
A écouter ici, et là :

avec une dédicace spéciale pour Grace Hopper, informaticienne et contre amiral de la marine américaine

Femme d’action et d’influence; c’est presque femme des années 80 et général d’infanterie que chantait Sardou.

Histoire fabriquée sur France Info 12/14 de Bernard Thomasson

Il était question de « l’Histoire fabriquée? » dans le 12/14 de France Info ce midi :

http://bernardthomasson.com/2012/09/06/lhistoire-enseignee-est-elle-manipulee/ 

La suppression de la matière “histoire” en terminale scientifique avait déjà provoqué un tollé (Vincent Peillon a promis de la remettre au programme). Mais la façon même d’enseigner  l’histoire suscite un débat, certains allant même jusqu’à parler de manipulation. Deux professeurs d’histoire, et écrivains, étaient invités du 12-14 : Vincent Badré pour “L’histoire fabriquée” aux éditions du Rocher, et Dimitri Casali, pour”L’histoire de France interdite” chez Jean-Claude Lattès.

Ecouter la séquence ici

Réponse personnelle : L’histoire transmise par les nouveaux manuels n’est pas directement manipulée. C’est surtout une histoire assez désabusée, qui ne montre pas assez que ce que des personnes et des groupes ont pu faire pour changer l’histoire.
C’est aussi une histoire souvent déséquilibrée, déformée et mise au goût du jour. Certaines parties de l’histoire sont noircies ou présentées trop vite et d’autres sont présentées de manière uniqument favorable.

Les manuels sont comme un piano qui offirrait surtout des touches noires à propos du Moyen Age et presque uniquement des touches blanches sur certains autres sujets.
Image.

Oubli du « roman national » et oubli de l’histoire des régions

Les nouveaux manuels d’histoire suivent souvent ceux qui critiquent le « roman national » qu’auraient raconté les instituteurs de la IIIe République. Ils réduisent la place des grands personnages et soulignent souvent les violences commises par les français, en particulier dans les colonies.

Cependant ces manuels restent marqués par la logique centralisatrice de l’école de nos grands pères sur un point. Ils ne soulignent jamais les particularités de l’histoire de telle ou telle région.

Le nouveau programme de seconde demande par exemple de parler de la « chrétienté médiévale », et les manuels n’en profitent pas pour souligner que la « Paix de Dieu » a été principalement soutenue par des évêques aquitains, autour de Poitiers et de Limoges.

Ces manuels ne soulignent pas non plus que c’est cette même région d’Aquitaine qui a abrité la naissance de la culture courtoise, avec des troubadours tels que Bernart de Ventadour.

Plus de détails au sujet des troubadours et d’Aliénor d’Aquitaine dans « L’histoire fabriquée?« , pp 63-64  Image Wikipédia.

Histoire fabriquée France Inter La marche de l’histoire 02 09 2012

Il a été un peu question de L’histoire fabriquée? au cours de l’émission La Marche de l’histoire sur France Inter consacrée ce dimanche aux nouveaux programmes d’histoire de 3e et de Terminale.

Jean Lebrun : « Je voudrais vous recommander, d’abord parce qu’il critique souvent Belin, un livre de Vincent Badré, qui vient de paraître aux Editions du Rocher. Et c’est un point de vue qui n’est pas tellement éloigné de celui du Figaro qui est exprimé par ce professeur de banlieue, mais c’est très bien documenté, très bien argumenté, c’est vraiment intéressant.

Alors il dit que, quand ils parlent de la Guerre froide, les manuels, par exemple le vôtre ne s’intéressent pas suffisamment à la nature des deux camps qui s’opposent et insistent trop sur la « menace nucléaire », parce que ça on comprend ce que ça veut dire après Fukushima. Il y a même un manuel Belin qui a osé mettre face à face une photo en couleurs à gauche, la place rouge, rouge de drapeaux et puis à droite une supérette, avec des rayons blafards et vides, ça c’est les Etats-Unis. »

Daniel Colon : « Alors, sauf votre respect, il fait référence à l’ancienne collection Belin, ce n’est pas la version que j’ai l’honneur de diriger. »

Commentaires :
Mon but n’est pas de critiquer tel ou tel éditeur, mais de décrire ce que disent la majorité des manuels, de souligner ce qui peut poser problème, mais aussi de montrer comment certains manuels apportent une vision plus large et plus nuancée des questions historiques.

Dans le cas de la question de la Guerre froide abordée par Jean Lebrun, le manuel actuel des éditions Belin ne me semble pas critiquable. Il me semble bien montrer que ce conflit n’est pas uniquement un temps de peur d’une guerre nucléaire, mais aussi l’affrontement de deux modèles de société.
Daniel Colon, celui qui a dirigé ce manuel a raison de souligner que c’est l’ancien manuel Belin de 2008 qui mettait en vis à vis une photo du monde communiste en couleurs et une photo du monde libéral en noir et blanc.
Par ailleurs la catastrophe de Fukushima a eu lieu en mars 2011 quand les actuels manuels de première publiés en 2011 étaient déjà pratiquement rédigés.
Pour ce qui est du point de vue général de mon livre, il ne rejoint que certains aspects de l’article du Figaro Magazine dont parle Jean Lebrun.
Image (Belin, 2008, Place rouge (Ria/Novosti) Supermarché (Corbis/bettmann))