Réflexions sur l’enseignement péri politique d’un prêtre marquant.

A propos du décès du Père de Monteynard.

C’était un apôtre du Seigneur se donnant sans relâche aux brebis qui lui étaient confiées.
C’était aussi à sa manière toujours concrète et plus fine qu’il n’y paraissait un maître d’expérience politique. Il a manifesté dans ces colonies de vacances de l’eau vive une application concrète de la priorité donnée aux relations humaines dans l’expérience sociale chrétienne.

Laïcité.
Il disait parfois aux jeunes lors de la première messe obligatoire des colonies de vacances chrétiennes de l’Eau vive qu’ils rentraient dans une maison chrétienne. Il justifiait ainsi l’obligation d’assister à une cérémonie par une hospitalité sans indiscrétion. C’était une forme de laïcité qui n’est pas celle à laquelle nous sommes habitués. Il s’agissait de justifier trois cérémonies obligatoires pour des adolescents en trois semaines par l’idée qu’il se trouvaient accueillis dans une sorte de famille et qu’ils avaient à l’accompagner dans les moments de sa vie quelles que soient par ailleurs leurs pensées intimes. Elle imposait l’occasion d’une écoute sans jamais poser de question indiscrète sur le degré de foi personnelle des uns et des autres. Cette laïcité d’accueil et de témoignage était un démenti pratique de l’habitude sociale française du  » respect absolu de la liberté de conscience » qui serait garanti par un effort pour ne jamais exposer un enfant au moindre discours politique ou religieux. L’arrière fond de cette attitude se trouve dans l’idée quel être exposé à une parole ouvre un espace de liberté pour la suivre ou non.

Communauté.
Le folklore des slogans souvent répété par ce prêtre portait aussi une certaine vision des relations humaines et sociales, et donc implicitement aussi des systèmes politiques. Le père de Monteynard répétait souvent :  » Vous êtes du gibier de régime totalitaire  » et enseignant l’attitude inverse par une très grande liberté d’esprit. Volontiers iconoclaste ou provocateur, il pouvait parler sans crainte et sans mépris de Sartre ou de Gandhi, en signalant leurs choix et ce qu’ils pouvaient apporter à la réflexion de ceux qui veulent être chrétiens.
Il disait aussi,  » vous êtes une masse  » en attendant qu’on réponde  » Nous sommes un peuple ». La masse étant un assemblage d’un individu séparés les uns des autres et facilement emporté par les propagandes et les passions du moment. La définition de ce que pouvait être un peuple n’était pas donné explicitement à l’Eau vive, mais pratiquée d’une manière assez originale. La structure des journées de cette colonie de vacances était conçue pour multiplier les interactions interpersonnelles tout en gardant une place au silence. Chaque jeune se trouvait au carrefour de plusieurs groupes définis par des affinités multiples. D’une des classes d’âge d’un ou deux ans allant des petits aux grands en passant par les ados. À l’intérieur de de ce groupe le jeune pouvait retrouver une table de repas différentes son groupe d’activité, le rassemblement informel des uns et des autres hommes au fil des marches en montagne, l’équipe de chambre, la tente lors des bivouacs, celles avec qui il danserait le soir où ce qu’il retrouverait à la messe du jour s’il le souhaitait. Ces multiples cadres formant des occasions croisés d’interactions par affinités, pour certaines imposées et pour beaucoup choisies.

Personnalisme.
Cela correspond sans doute à une définition de la personne humaine comme un être complexe qui ressemblerait à un oignon par une superposition de couches différentes impossible à réduire aux seules dimensions comptables, identitaires ou sentimentales.
L’Eau vive comme multiplicateur de sociabilité et d’occasions d’exercer une charité relationnelle n’oubliait cependant pas les droits du silence et de l’intériorité avec un temps absolument libre d’au moins une heure par jour laisser à la lecture et à la contemplation possible de la nature dans le parc de cette colonie de vacances et en voyant les paysages du Brianconnais.

Genre.
L’enseignement du père de Monteynard à propos de l’homme, de la femme et de la conscience a eu une certaine influence sur le refus de la théorie du genre dans une partie de la jeunesse catholique. On peut en retenir une volonté de ne pas nier les mouvements naturels tout en les orientant vers une finalité relationnelle. Il ne fallait pas limer les crocs et brimer l’énergie généreuse et chevaleresque des garçons. Il ne voulait pas non plus que les jeunes filles manquent de délicatesse et d’énergie. Le modèle social clairement encouragé restant celui de la femme comme mère et éducatrice des enfants et de l’énergie de son mari.

Action et responsabilité.
Au-delà de la création d’une sociabilité multipliant les interactions interpersonnelles il y avait aussi un discours et une pratique de la responsabilité manifestée par un autre slogan, celui qui demandait d’avoir l’oeil responsable. Dinant un soir au côté du père de Monteynard il me disait qu’une chose n’allait pas, il manquait une petite vis pour tenir les pieds d’une des tables du repas. Cette petite vis non remplacée au premier regard un signe de négligence, ensuite l’annonce d’une table brisée et enfin celle d’une rupture d’hospitalité.
L’oeil responsable c’était aussi l’apprentissage d’un principe de partage des actions à réaliser. Il était important de savoir qu’une personne avait le devoir de nettoyer la gamelle du feu de camp, se chargerait des piquets de tente. La bonne réalisation d’une petite mission permettait de voir les uns et les autres se rendre des services réciproques sans confusion et sans inefficacité.

Institution.
L’expérience quasi politique de l’Eau vive c’est aussi manifestée dans un rapport particulier avec l’Église institution. La messe et l’annonce de l’amour du Christ était au centre, elle devait être réalisée avec soin. La prédication du père de Monteynard est-elle abondante et très soignée du point de vue littéraire; tout particulièrement par la grâce d’une diction raffinée et claire. Ce désir de l’essentiel et d’une montée vers une très grande qualité de délicatesse relativisait les inquiétudes et les divisions existant entre catholiques de sensibilité variés. Le choix de l’unité s’est manifesté à certaines périodes par l’accompagnement spirituel de jeunes prêtres et séminaristes venus de diocèses les de communautés variés. Il y avait aussi une volonté d’obéissance à l’institution qui n’était pas séparée une certaine indépendance d’esprit.

Charité.
D’une manière plus discrète mais très réelle, le père de Monteynard laissait une place aux décalés, aux originaux et aux blessés dans la communauté qu’il avait rassemblée pense aspirant de l’enseignement de Marthe Robin et des Foyers de Charité. L’acte de Charité spécifique qui pouvait se déployer à l’Eau vive était aussi celui qui se tournait vers les pauvreté affectives et spirituelles qui peuvent toucher cruellement des enfants des beaux quartiers.

L’homme portant dans sa nature une imperfection radicale il ne faut pas oublier non plus c’est le père de Monteynard a aussi été parfois un signe de contradiction, de contre témoignage et pour certains « le père de mon cafard ».

Pour d’autres il a été un témoin après bien d’autres de l’amour et de la sollicitude du bon Dieu envers tous les hommes.

Macron et l’histoire

Tribune libre publiée sur le site internet du quotidien La Croix.

Des formules provocantes.
Emmanuel Macron a fait de l’histoire l’un des leviers d’une campagne en quête de consensus national. Dans une France « éclatée façon puzzle », il a voulu tenir compte de toutes les souffrances du passé, au risque de formules trop provocantes sur la colonisation « crime contre l’humanité » ou une « culture française » invisible. maAu-delà des couleurs multicolores et changeantes de ses discours, Emmanuel Macron a porté une vision à la fois cohérente et insatisfaisante de ce que devrait être notre rapport à l’histoire.
« consolider l’appartenance et la réconciliation des appartenances à la Nation ».

En marche vers un récit national unificateur ?
Le candidat a dit son désir de renouer « un fil historique ». S’étant mis en marche sur les pas d’historiens de la IIIe république comme Ernest Lavisse, « l’instituteur national », Il veut la « réconciliation des mémoires » par l’appel à des figures historiques variées.

L’ouverture post moderne.
En ne montrant pas comment relier des figures, Emmanuel Macron assume un certain éclatement mémoriel. Il se réjouit en effet d’appartenir à « un temps [où] tout est à reconsidérer » après la fin des grands messianisme politiques. Sa méthode est post moderne quand il veut aboutir à « une véritable histoire universelle convoquant tous les modèles et tous les phénomènes ». En acceptant le « débat critique dans ce qu’il a de plus complet et d’exigeant et de plus acerbe ».

Une vision émotionnelle.
C’est en enfant d’un siècle très émotionnel qu’Emmanuel Macron a voulu « d’une même main reconnaître la souffrance des harkis et des pieds noirs, et reconnaître celle des colonisés ». C’est en « bon élève » qu’il pense se sortir du scandale né de la concurrence des larmes. En « paraphrasant la formule du général de Gaulle aux partisans de l’Algérie française : -Je vous ai compris-. », il a ravivé des blessures anciennes. Il a aussi pratiqué une forme de marketing mémoriel ciblé. L’histoire lui a permis de traduire en symboles ses thèmes de campagne.

mLes psychologies consensuelles ont pu apprécier ses références prises à droite et à gauche. Les gens de l’ouest ont pu aimer sa visite vendéenne au Puy du Fou et son mot pour dire sur France Culture que « tout n’est pas bon dans la République » et d’autres auront aimé ses références aux Lumières, à Valmy et au Marquis de Sade.

Une histoire qui reste partielle.
La balance d’Emmanuel Macron finit par pencher plutôt d’un côté que de l’autre. En soulignant « l’aspiration à l’universel », elle se lit comme dans un miroir avec celle de François Fillon qui insistait sur « l’instinct de la liberté et de la grandeur ».
Cela reste politisé et orienté, sans pouvoir intégrer d’autres mémoires historiques, qu’il s’agisse de celle des électeurs de Jean Luc Mélenchon ou des références de ceux de Marine Le Pen. La question de l’intégration des enfants issus d’étrangers n’est pas non plus résolue par le symbole qui veut les faire « se situer au confluent d’un fleuve » pour entrer dans le courant d’un roman et d’un récit national.

Pour une histoire des choix et des valeurs.
Emmanuel Macron juxtapose des paroles, mais ne donne pas de solutions pour les faire vivre ensemble avec leurs morales opposées. Il contourne la question quand on lui demande sur France Culture s’il faut « célébrer la désobéissance » de ceux qui ont refusé de combattre en 1917. Il faudrait au contraire faire découvrir des modèles de frondeurs ou de patriotes et faire réfléchir sur les conséquences des choix des uns ou des autres, sans que la présence d’un personnage dans un cours n’oblige personne à s’y identifier.

Définir l’identité française comme un ensemble de choix et de préférences.
Définir la France comme une « aspiration à l’universel » risque de faire oublier les particularités d’un territoire. Elles naissent d’une série de choix et de bifurcations historiques. Les Français n’ont pas fait la même choses de leurs rois et de leurs parlements que les Anglais.
On trouve en France une priorité à l’Etat et la persistance de nuances régionales, l’austérité et la gauloiserie, l’enracinement villageois et les aventures lointaines. L’histoire des choix français passe aussi par celle de compromis discrets. On y voit un Etat qui ne reconnaît plus aucun culte en 1905 et réserve les églises au culte catholique et aussi un équilibre instable entre libéralisme et pouvoirs des syndicats.
Montrer ces courants dominants ou minoritaires, ces compromis et ces affrontements donne aux élèves la liberté choisir des identifications ouvertes, enracinées et nuancées.

Dans cette perspective, le rôle du chef de l’Etat serait de d’accepter un véritable pluralisme de l’enseignement du passé français et d’indiquer quels inflexions il veut donner aux compromis hérités de notre histoire.

Vincent Badré, professeur d’histoire géographie, auteur du livre « L’histoire politisée ? Réformes et conséquences », Editions du Rocher, 2016
Sources :
La fabrique de l’histoire, France Culture, 9 mars 2017, Transcription par le site du mouvement En Marche.
L’histoire hors série, Avril 2017.
Causeur, n°45, avril 2017.