The Big Short, un film sur la crise financière de 2008, digne héritière de nombreux précédents historiques

Le « Casse du siècle » commence par un raisonnement historique. Ce film américain raconte la crise financière de 2008 en partant d’une réflexion historique de Michael Burry. Cet analyste financier part des crises financières du passé, en particulier des années 1930, pour prédire la chute de la valeur de l’immobilier aux Etats-Unis.003779452

Des faits statistiques déjà observés dans le passé lui font penser que de nombreux crédits immobiliers ne seront pas remboursés. Il en tire la conclusion logique que les subprimes et autres produits financiers « complexes » vont devenir des obligations pourries. Allant contre l’opinion générale, son fonds d’investissements parie sur la chute du marché.

Le suspense du film se trouve dans le fait de se demander si ce pari contre le sentiment général va réussir. Sa réponse est que seule une poignée de personnes ont vu la chute venir et ont su en profiter personnellement.418px-Christus_saint_eloi_orfèvre

L’historien voit ce film avec en mémoire des crises financières du passé. Il se souvient de ses lectures sur les faillites spectaculaires de banques italiennes aux XIIIe et XIVe siècles, peu après l’invention des banques ou des chèques et sur les spéculations modernes autour de la tulipe hollandaise au XVIIe siècle ou de la Banque de Law en France

L’historien se rappelle aussi la lecture de livres aussi passionnants que « Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle », de Fernand Braudel (une enquête sur les particularités de l’histoire économique européenne) ou « Argent pouvoir et société au Grand Siècle » de Daniel Dessert, (qui révèle les mécanismes financiers de la dette royale au temps des rois Bourbons)

11 novembre commémoration entre fascination du sang et refus de la violence

Les commémorations du 11 novembre nous en disent plus sur l’état actuel de l’opinion à propos de la guerre que sur celle ci.
Un reportage fascinant montre à la fois un retour inattendu d’attention envers les soldats britanniques morts dans la première guerre mondiale et une transformation de la mémoire et du massacre en spectacle.

Il montre aussi l’état d’une opinion anglaise bien moins prévenue contre une affirmation nationale trop visible. Jean Baptiste Noé montre bien le destin divergent des fleurs du souvenir anglaises et françaises. Le Bleuet français est très discret alors que coquelicot anglais est facilement porté à la boutonnière.
poppies tower london coquelicots tour londresL’impression étrange que font les douves de la Tour de Londres nous rappelle aussi que la passion contemporaine pour la mémoire est souvent traversée par une fascination pour le mal et la destruction dans nos société contemporaines.
tumblr_m0slf4CWik1ro5ugxo1_500Malgré la différence d’idées, le sang qui envahit l’image peut nous rappeler la fontaine du sang des « martyrs » de la guerre Iran-Irak. La différence d’idéal entre les combattants européens de la première guerre mondiale et ceux qui ont combattu pour la république islamique n’efface pas tout à fait l’impression d’une parenté dans la fascination morbide pour le sang versé.
Sources photo 1 et 2

 

Enjeux historiques, culturels et religieux du soutien aux minorités irakiennes

Extraits de deux articles de Vincent Badré publiés dans la presse :

Libération : Pourquoi intervenir en Irak ? 
[Contre le déracinement du monde]

Pourquoi se soucier du sort des Yézidis, des Shabaks, des Mandéens et des chrétiens Chaldéens et Syriaques ? C’est une manière de résister concrètement à la tentation du «choc des civilisations». L’Etat islamique détruit le «tombeau de Jonas». Il s’attaque aux monuments et aux groupes culturels et religieux qui témoignent de la complexité de l’histoire de l’Irak. En prétendant revenir à la pureté des origines de l’islam, il participe à la construction d’un monde contemporain totalement coupé de ses racines historiques.
[Retrouver des sources d’idées et la parenté des cultures]
Est-ce pourtant si grave de voir brûler des vieux manuscrits et disparaître quelques très vieilles religions ? C’est la destruction de réserves de poésie et d’inventivité humaine, c’est aussi la disparition des traces de notre parenté culturelle avec le monde arabe. Notre époque est tentée de ne voir que ce qui nous sépare du monde musulman, en oubliant qu’il s’est aussi nourri de sources souvent communes tout en les transformant autrement. Le philosophe grec Aristote a été traduit et lu avec passion sur les rives du Tigre et de l’Euphrate avant de parvenir sur celles de la Seine. Retrouver des chemins de rencontre peut passer par la conscience de cette parenté culturelle. Les cultures peuvent aussi se rencontrer dans la redécouverte de leurs racines, à condition qu’elles n’aient pas été coupées.
[Des racines vivantes]
Parmi les leçons de vie, de joie et d’hospitalité que j’ai reçues en Irak, je retiendrai aussi le témoignage d’un rapport joyeux et décontracté entre les racines historiques. Nous étions devant la porte fermée du tombeau de Saint Behnam, près de Qaraqosh ; l’un des prêtres présents reprend en rigolant un chant sacré où Saint Pierre avoue qu’il a perdu les clefs du paradis, et un autre sort son portable pour qu’on aille chercher la clef. Cet épisode montre un patrimoine qui n’est pas un objet mort oublié dans un musée, mais qui reste une école d’humanité.

La Croix : Enjeux du soutien aux Chrétiens d’Orient :
Les souffrances des Irakiens sont une occasion de ne pas opposer les solidarités. Elles font se retrouver des gens qui viennent d’horizons politiques et spirituels différents, qu’il s’agisse de ceux qui se soucient des chrétiens, de l’indépendance des Kurdes ou des minorités oubliées et isolées comme les Yézidis, les Chabaks ou les Mandéens, mais aussi de ceux qui pensent aux souffrances des Irakiens sunnites et chiites. [ …]
La culture des chrétiens d’Orient peut aussi nous donner des exemples de vie avec un patrimoine et des traditions vivantes. Ils peuvent recouvrir de très anciens monastères de marbres neufs et se passionner pour la finesse psychologique des manuscrits anciens.
[Liturgie entre beauté ancienne et moderne]
Ils pouvaient aussi faire alterner dans une messe au village de Bartella des chantres traditionnels, enfants et pères de famille réunis autour de leurs lutrins, et une chorale moderne entonnant un chant de sortie sur l’air de « Ce n’est qu’un au revoir mes frères ».
[Charité]
En rencontrant les chrétiens d’Orient on découvre aussi de fragiles floraisons de la grâce et de l’espérance. Les missions humanitaires de l’association Fraternité en Irak nous ont permis de découvrir les projets d’aide et de prière de Sœur Amira, une énorme fête autour d’une association de handicapés, des « moines dans la ville » ou de beaux mariages. [ …]

La voix est libre / Radio Notre Dame : Existe t’il toujours une histoire de France ?

Mardi 26 novembre 2013.
« Existe t’il une seule histoire de France? »
Emission d’Alexandre Meyer, « La voix est libre » sur Radio Notre Dame : Jean Sévillia et Vincent Badré.
Ecouter l’émission
Thèmes et textes évoqués :

L’histoire passionnée de la France, par Jean Sévillia.

Nécessité d’un regard pluraliste sur les personnages historiques.
« Sortir de l’unilatéralisme peut être un moyen de guérir la mémoire nationale en assumant la diversité des faits [et des régions] qui la composent. Montrer que Jeanne d’Arc n’a pas seulement été une personne qui a augmenté le rôle de l’État en France, une sainte ou une fille du peuple, mais un peu de tout cela, dans des proportions difficiles à mesurer. »
Vincent Badré, dans la revue Le Débat. 

(Jeanne d’Arc, figure « de gauche », une femme du peuple victime des puissants).

Peut on retrouver des personnages « modèles »?
Dans une histoire qui n’oublie pas les actions des hommes, des saints et des saintes ou des justes, des héros et des hommes ordinaires, il est possible d’alimenter une réflexion morale sans tomber dans le moralisme.
Sans forcément approuver les choix des hommes du passé, on peut les découvrir dans leurs particularités et dans leurs aspirations.

L’ébéniste Brousse, un communard :
« Ouvrier menuisier ébéniste à l’âge de 18 ans, je quittais mes foyers pour faire mon tour de France, travaillant le jour, étudiant la nuit : l’histoire, voyages, philosophie, économie sociale et politique, …. Arrivé à Paris en 1864, je m’établis deux ans après ébéniste réparateur 2, rue Joquelet, J’occupais 1 à 3 ouvriers, je les payais 50 c. par jour plus cher que le prix officiel et je leur faisais la propagande par-dessus le marché. J’ai pratiqué l’association tant que j’ai pu. » Source : Cliotexte.

Blaise Cendrars, suisse et engagé volontaire dans la première guerre mondiale:
Des étrangers amis de la France, qui pendant leur séjour en France, ont appris à l’aimer et à la chérir comme une seconde, patrie, sentent, le besoin impérieux de lui offrir leurs bras.
Intellectuels, étudiants, ouvriers, hommes valides de toutes sortes – nés ailleurs, domiciliés ici – nous qui avons trouvé en France la nourriture de notre esprit ou la nourriture matérielle, groupons-nous en un faisceau solide de volontés mises au service de la plus grande France.
Source : Appel aux étrangers vivant en France.

Correspondance historique, le travail de nuit des femmes et des hommes.

Sephora (et Monoprix) condamné, la chaîne parfumeries ne pourra plus faire travailler ses vendeurs et vendeuses plus tard que d’autres boutiques. Pendant ce temps là, la Boutique PSG, Celio, Courir, Gap, HetM, Morgan, Naf Naf, Promod, et United colors of Benetton continuent à ouvrir illégalement après 21 heures sur les Champs Elysées.

Cette affaire fait partie d’un vieux débat. Les partisans du libéralisme plaident pour l’ouverture pour que chacun puisse travailler plus pour gagner plus s’il le souhaite … ou si le marché de l’emploi et la peur du chômage l’y obligent. Ils se situent dans l’héritage de la Loi le Chapelier votée en 1791 (critiquée ici par l’institut d’histoire sociale de la CGT).
Les partisans de la régulation sociale par la loi souhaitent au contraire qu’une limite soit fixée et s’impose à tous pour qu’une entreprise ne puisse pas être avantagée par rapport aux autres en respectant pas la limite fixée. Ils peuvent se trouver parmi des socialistes, des chrétiens sociaux ou des partisans de la libre entreprise.

L’histoire du travail de nuit est le résultat du bras de fer entre ces deux tendances. Interdit en , en partie à la demande du député Albert de Mun, il a été réintroduit progressivement à l’aide de la méthode du pied dans la porte. Une exception, un coin placé dans la fissure et ensuite l’exception s’élargit et l’interdiction tombe. La droite vote la loi Séguin en 1987, qui autorise des exceptions, et les socialistes votent une loi autorisant le travail de nuit pour les hommes comme pour les femmes, au nom de l’égalité et pour répondre à une décision de la cour de justice de la communauté européenne (source).

 

Correspondance historique : François, François, François et François

Un an de présidence de François Hollande, un nouveau pape qui choisit le nom de François, le souvenir de François Mitterrand, et voilà une occasion de revenir sur l’histoire de ce prénom.
Il doit beaucoup à au choix du père de François d’Assise. Marchand de Toscane, il a imposé vers 1181 ce prénom très nouveau à son fils en souvenir des activités commerciales qu’il avait mené avec la France. Né pour être un riche marchand, François d’Assise a préféré chanter Dame pauvreté, et a lancé la mode de ce prénom.

L’invention en Italie d’un nouveau prénom est un signe du prestige du nom français aux XIIe et XIIIe siècle, à l’époque ou « l’art français » se diffuse dans toute l’Europe et dans les Etats latins d’Orient.

L’art italien lui même adopte en partie les éléments de ce nouveau style avec des croisées d’ogives et des arcs brisés dans les fresques de Giotto consacrées à la vie de saint François.

L’influence française passait aussi à l’époque par les différentes régions françaises avec la culture courtoise née des troubadours aquitains et relayée par les romans de chevalerie tels que ceux de Chrétien de Troyes et par  l’Université de Paris qui accueillit l’Allemand Albert le Grand.et les Italiens saint Bonnaventure et saint Thomas d’Aquin.

Plus récemment l’esprit irrévérencieux de Pierre Desproges dans son Dictionnaire superflu, faisait du prénom François une occasion de se moquer du président de la République de l’époque :

« François prénom masculin, signifiant littéralement: « mon Dieu, quel imbécile! »;du celte fran (« mon Dieu ») et cois (« quel imbécile »!). En effet, tousles gens qui s’appellent François sont des imbéciles, sauf François Cavanna, l’écrivain, François Chetelt, le philosophe et François Cusey,de chez Citroën, qui a honoré l’auteur de son amitié pendant leur incarcération commune au dix-huitième régiment des Transmissions, à Epinal. Tous les François sont des imbéciles. La preuve en est que,lorsqu’ils croisent un imbécile, certains l’appellent François. Le plus souvent, l’ambition, pour ne pas dire l’arrivisme, des François, est à la mesure de leur imbécillité, bien que je n’arrive pas à me faire à l’idée qu’il y ait deux « l » à l’imbécillité alors qu’imbécile, lui,n’en prend qu’un. Dura lex, mais bon. Quand ils sentent le vent tourner, grâce à leur instinct d’imbécile, les François n’hésitent pas à s’engager dans la résistance en 43, 44, 45, voire, pour les plus sots, 46. grâce à la longueur de leurs crocs, qui laissent des traces sur les moquettes ministérielles où ils plient l’échine jusqu’à ramper pour obtenir la moindre poussière de pouvoir, les François peuvent espérer se hisser un jour sur le plus élevé des trônes, celui duquel,dans l’ivresse euphorique des cîmes essentielles, l’imbécile oublie enfin qu’il a posé son cul. Alors serein, benoît, chafouin, plus cauteleux que son hermine et plus faux que Loyola, il entraîne paisiblement le royaume à la ruine, en souriant comme un imbécile.

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Correspondance historique : Déclarations de patrimoine, Comment Périclès enseigne l’art de ne pas paraître riche.

Déclarer son patrimoine est à la mode, Le gouvernement l’impose à ses ministres et l’UMP se déchire pour savoir s’il faut le faire aussi. C’est une forme de moralisation comme une autre.  Enfin on va sa voir lesquels de nos ministres sont riches.
On saura enfin qui a un combi Wolkswagen hors d’age, trois vélos ou une belle voiture.

Hier comme aujourd’hui les élus d’une démocratie cherchent souvent à donner l’impression qu’ils sont « comme tout le monde », vivent modestement et ne se soucient que du bien public.

Ils suivent sans le savoir les leçons de communication politique du d’un de leurs grands ancêtres du Ve siècle av. J.-C. : Périclès.
Selon Plutarque, « Périclès avait, pour le peuple, une extrême répugnance dans sa jeunesse. … Riche, issu d’une grande maison, et lié avec des personnages puissants dans l’État, Périclès craignait de se voir bannir par l’ostracisme : il ne se mêlait donc point de politique …

Quand Périclès commença à toucher aux affaires. Il se dévoua au parti du peuple, préférant, à l’aristocratie faible en nombre, la multitude pauvre, mais nombreuse. …

Dès ce moment, il embrassa une manière de vivre toute nouvelle. On ne le voyait plus passer dans les rues de la ville, que pour se rendre aux assemblées du peuple ou au sénat ; et il renonça aux banquets, aux sociétés, aux causeries. Tant qu’il fut à la tête des affaires, et il y demeura longtemps, il n’alla souper chez aucun de ses amis : un jour seulement, il assista au festin de noces d’Euryptolème, son cousin ; et encore se leva-t-il de table, aussitôt après les libations ».
Image : Le PointLouvre/Insecula

Correspondance historique : Margaret Thatcher, une icône féministe oubliée ?

Dans les manuels actuels, le rejet de la relégation par le XIXe siècle des femmes dans la sphère domestique et la dimension sentimentale ne peut se faire que d’une seule manière.

Tous les nouveaux manuels d’histoire de première mettent en avant les intellectuelles féministes de la seconde moitié du XXe siècle, Sept fois sur huit avec Simone de Beauvoir et une fois avec Françoise Giroud.
Seule la moitié d’entre eux montrent aussi d’autres modèles féminins avec une avocates, une académicienne, une aviatrices, des ouvrières du début du XXe siècle, des infirmières ou des syndicalistes.
Pas de femmes de pouvoir, à part Edith Cresson, premier ministre français, qui n’a pas vraiment réussi à s’imposer.

Il n’y a pas un seul manuel pour citer Margaret Thatcher ou une autre femme à poigne comme Golda Meïr ou Indira Gandhi dans le chapitre sur l’émancipation des femmes. Ces femmes n’étaient certes pas féministes, mais elles ont voulu et su montrer qu’elles pouvaient gouverner avec autant d’énergie et de détermination que des hommes.

Correspondance historique : Cahuzac ou la tentation Savonarole

Il faut moraliser la vie politique. Le Président de la République annonce un « choc de moralisation« . Il promet des règles impitoyables contre la fraude fiscale et la corruption et condamne fermement l’erreur d’un homme en qui il aurait mis sa confiance. Harlem Désir, propose au nom du parti socialiste un référendum sur la moralisation de la vie publique et l’opposition affirme pour sa part que le gouvernement ne va pas assez loin dans l’expiation de la faute morale commise par l’ex ministre du budget.

Il y a dans cette vague moralisatrice comme un écho des passions de la cité de Florence au temps de la Renaissance.
La ville toute entière avait alors suivi avec passion les sermons enflammés du moine Savonarole contre le luxe et les tentations païennes. Après avoir chassé les trop encombrants Médicis, la ville était devenue une « république chrétienne ». Dans sa quête d’une société parfaitement morale, elle avait dressé un grand bûcher des vanités pour y brûler toutes les traces d’un luxe corrupteur. Le peintre Botticelli lui-même y avait porté certaines de ses œuvres, devenues trop païennes à son goût.
Les promesses d’un retour absolu à la vertu n’ont cependant qu’un temps. Lassés de l’austérité, les jeunes florentins se sont révoltés contre Savonarole. Ils ont rétabli les jeux et les danses. La ville s’est alors retournée contre celui a qui elle avait demandé de lui enseigner une pureté inflexible.

Promettre une vertu parfaite après une faute morale n’est sans doute pas le meilleur moyen d’éviter de retomber dans les erreurs passées.
Certains voient dans cette affaire le lynchage d’un homme par un monde généralement très permissif, mais qui ne sait rien pardonner. Pour sortir de cette alternance entre permissivité et vagues de puritanisme, il devrait pourtant être possible de trouver les chemins d’une réforme plus progressive et plus profonde du comportement des hommes publics.
Images : Langenmantel, Botticelli