L’histoire fabriquée dans Famille chrétienne : les chrétiens dans les manuels d’histoire

Comment les manuels scolaires présentent-ils les origines du christianisme ? Un seul manuel de 6e montre que l’archéologie confirme des éléments des Evangiles. Un autre introduit au contraire le doute en décrivant la vie de Jésus en sept phrases avec sept conditionnels. Le credo, est majoritairement déformé en coupant le passage « vrai Dieu et vrai homme ». Quant à l’enseignement du Christ, il est présenté de manière vague et compatible avec la morale dominante. On parle d’amour, d’espoir, de fraternité, et de rejet des richesses. Il n’est pas question du péché et du pardon.
Et l’histoire de l’Eglise ? Vue par les manuels elle ne mentionne pas les saints (ce qui est typique d’une tendance actuelle à l’oubli des personnages.  Jean-Paul II est très peu cité. Un seul manuel, le Hachette Lambin de 1e montre bien comment il a aidé la Pologne à sortir du communisme.
Le christianisme est vu comme une institution, pas comme une pratique. Charlemagne construit des églises, mais dont ne montre jamais ce qui s’y passe, on ne voit ni les aumônes, ni les prières, ni les chants grégoriens. L’Eglise est présentée comme un système de contrôle social. Prêtres et d’évêques auraient contrôlé la société du Moyen Age par la peur de l’enfer.
Presque rien sur les laïcs chrétiens : leur rôle dans l’invention de lois sociales comme le salaire minimum, les conventions collectives ou la cogestion allemande est passé sous silence.
Et les guerres de Vendée ? Elles sont évoquées de manière très édulcorée. On sous estime le nombre de morts et les atrocités de ce conflit.
Comme souvent on montre des faits sans chercher à en expliquer les causes. Un seul manuel montre que les Vendéens se sont révoltés contre un Etat révolutionnaire qui les avait privés de leurs prêtres catholiques. Ne pas expliquer leurs motivations donne l’impression qu’il s’agissait d’un soulèvement réflexe et que les chrétiens réagissent sans réfléchir.

Pourquoi certains sujets sont ils tabous à l’école ?

La diversité des origines ethniques des élèves peut conduire certains d’entre eux à opposer un « vous » esclavagiste et un « nous » victimaire.

Dans le fonctionnement identitaire des enfants d’immigrés, très variable, fluide et instable, la demande sociale d’un comportement « à la française » peut entrer en conflit avec un rattachement sentimental à une patrie rêvée, mieux que « le bled », une identité sans défauts et sans trouble (On peut lire à ce sujet les essais de Malika Sorel dont Le puzzle de l’intégration).

Certains enseignants et certains manuels scolaires mettent de l’huile sur ce feu en noircissant systématiquement la colonisation au lieu d’en montrer la complexité et aussi les aspects positifs. Les programmes qui demandent de parler de l’esclavagisme musulman du Moyen Age et de décrire les sociétés coloniales n’empêchent nullement de donner une vision nuancée des contacts entre les européens et d’autres cultures, ce que fait Yves Lacoste dans son livre sur La question postcoloniale.

Comment parler des sujets tabous à l’école ?

Le professeur d’histoire géographie qui rapporte sur France 2 qu’un élève a dit à propos de Léon Blum « Qu’il crève ! » explique qu’il a répondu « C’est un appel au meurtre, c’est très grave. »
Il dit au journaliste de France 2 : « Mon métier, c’est lutter contre ces propos, ces représentations, ces constructions intellectuelles qui fragmentent et fracturent la société. »

Faire la morale ne suffit pas. Il n’est pas simple pour un professeur de l’enseignement laïc de sortir du discours historique pour rentrer dans le domaine moral en disant qu’il est « grave » de souhaiter la mort d’un Juif. On ne peut le dire sans affirmer ouvertement un choix de valeurs morales. Certains trouveront l’interdit du meurtre dans le fait que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit, d’autres dans la révélation biblique. Cela risque de ne pas suffire pour ceux qui se rattachent à d’autres hiérarchies de valeurs.

Ce que peut apporter l’histoire. Elle peut nourrir le choix du respect de la personne humaine par une réflexion sur les conséquences historiques des meurtres de masse.

En tant qu’enseignant, j’ai toujours constaté que la tension disparaissait autour d’une question sensible quand je l’abordais d’une manière nuancée et pluraliste. On peut commencer par reconnaître la part de vérité présente dans une accusation, par exemple à propos de la traite négrière. On peut continuer en faisant réfléchir sur la part d’exagération qui se glisse dans les revendications victimaires. Parmi le « nous » des victimes de l’esclavagisme, il y a aussi des complices et parmi le « vous » des européens, il y a aussi ceux qui ont voulu adoucir ou supprimer l’esclavage. Il est aussi nécessaire de présenter aux élèves les actes, les discours et les perceptions de l’autre. Le manuel Nathan / Le Quintrec de terminale le fait très bien à propos du conflit israélo-palestinien.

Sans l’approuver, on peut aussi faire comprendre la logique des systèmes meurtriers pour que les élèves puissent choisir de les refuser, rationnellement et en connaissance de cause.

Sujets tabous à l’école, une question sans espoir ?

Le récit sur France 2 d’exclamations d’élèves appelant au meurtre de Juifs peut annoncer de graves conflits. Il laisse cependant de côté les caractères positifs que peuvent avoir ces mêmes élèves et leurs capacités de prise de distance et de second degré.
L’élève de Mantes la Jolie qui m’avait demandé « Mais monsieur, c’est mal de tuer des Juifs ? » l’avait fait avec un petit sourire ironique : manière de montrer qu’il s’agissait pour lui d’une question et qu’il me demandait un contrepoint aux discours qu’il entendait dans sa cité.

Les témoignages de professeurs comme Gabrielle Déramaux (Collège inique (ta mère !)) qui montre son attendrissement devant ses élèves cherchant le roi des Français à Versailles ou Jean François Chemain (Kiffe la France) qui témoigne de leur attachement proclamé à l’islam, mais aussi de leur capacités d’affection et de réflexion. Ces deux témoins de ce qui se vit « en banlieue » montrent bien leurs difficultés, mais aussi les grandes qualités de coeur de leurs élèves.

A l’âge ou tout est encore possible, les élèves d’aujourd’hui sont plus que jamais capables d’ouverture, d’enthousiasme et de curiosité et peuvent sortir des schémas victimaires et vengeurs.

Arnaque visuelle antichrétienne des manuels d’histoire

Selon l’idée reçue qui traîne encore dans les esprits, le Moyen Age était une époque de grandes peurs et la plus grande de ces peurs était celle de l’enfer. Les manuels scolaires actuels le montrent en reproduisant la large gueule de l’enfer engloutissant les âmes. Elle occupe de 50 à 100% de l’image dans les manuels.Là où l’escroquerie devient grandiose, c’est quand ces livres très sérieux oublient de faire un plan large. Deux d’entre eux n’obtiennent une image terrifiante de l’enfer qu’en coupant radicalement l’image qu’ils utilisent. Pour les hommes du Moyen Age, l’enfer est présent, mais il est très loin d’occuper tout l’espace de la vie après la mortD’où vient alors cette idée reçue d’une peur omniprésente ? Elle est née au XIXe siècle, dans une époque où l’efficacité des sacrements est remise en cause et où les prêtres ont souvent utilisé l’argument de la peur de l’enfer. Le Moyen Age, par contre insistait sur le salut possible pour les pécheurs en « inventant » l’image du purgatoire, étape de purification avant le bonheur éternel.
Image (électra/leemage) et L’histoire fabriquée? pp 49-50

Islamophobie ou islamophilie : L’islam dans l’enseignement de l’histoire.

Les polémiques actuelles sur une vidéo et des caricatures critiquant l’Islam et Mahomet ou L’agression d’un professeur d’histoire de Bordeaux après un cours évoquant l’islam reposent la question de la présentation de l’islam dans les écoles françaises. La victime de cette agression demande plus de laïcité et plus de connaissances. On peut surtout souhaiter trouver plus d’histoire sur le sujet dans les manuels scolaires.
Représentant l’opinion moyenne des professeurs d’histoire, ils n’osent généralement pas critiquer l’islam, font des éloges un peu vagues de la civilisation musulmane, mais ne savent par faire comprendre la culture arabo musulmane.

La peur d’offenser ou de froisser les élèves musulmans peut conduire les manuels à surévaluer la tolérance de l’islam et à écrire des phrases telles que : « Les ottomans instituent le devchirme créant une voie d’ascension sociale au service de l’Etat. Celui-ci consiste à prélever … des enfants chrétiens. A la différence de la règle générale les recrues sont converties de force à l’islam … [et] sont ensuite formées au métier des armes pour constituer les redoutables janissaires.»  (Histoire Fabriquée?, p42)
Il s’agit ici pour les nouveaux manuels de seconde d’atténuer l’impression de “choc de civilisation” produite par un nouveau programme de seconde qui ne présente l’Islam que dans un moment de conflit; quand les Turcs Ottomans prennent Constantinople en 1453.
L’oubli de la critique historique.
Le nouveau programme de cinquième demande aussi une “contextualisation des débuts de l’Islam” à partir de “sources historiques” et des textes musulmans qui doivent être “datés en relation avec ce contexte”. Les manuels n’ont pas osé aller réellement dans cette direction et en restent souvent au récit musulman traditionnel de la vie de Mahomet.

Alors, que faire?
Poser des questions historiques sans blesser des convictions.
L’histoire ne sait pas tout du passé de manière précise. Montrer quel est l’espace d’incertitude qui voile certains aspects des débuts de l’islam est possible et nécessaire. Pour le faire sans blesser inutilement, il faut rappeller que l’histoire pose des questions sur le passé, quand la religion adhère à un message insèré dans une histoire. La tradition musulmane a gardé des traces des débats entre les premiers musulmans à propos de la bonne version du Coran ou des récits de la vie de Mahomet rédigés à la fin du IIe siècle après le début de l’islam. Le livre “L’histoire fabriquée?” donne la parole aux recherches actuelles, par exemples celles sur les premiers grafitis musulmans du “Coran des pierres”. Il le fait en gardant à l’esprit qu’il s’agit de poser des questions sur cette histoire, sans apporter de conclusions définitives. (Histoire fabriquée? pp 39-42)
Retrouver une histoire précise qui donne la juste mesure de l’apport de la civilisation du temps des Califes dans les progrès des sciences, en particulier en mathématiques. Cela permettrait d’éviter que certains élèves croient de bonne foi que les musulmans auraient “inventé la médecine” ou “les mathématiques” et que d’autres croient à l’inverse que les progrès des sciences en terre sous autorité musulmane seraient une idée reçue sans fondement.
Savoir découvrir une culture différente.
Les programmes, et la culture scolaires actuelles ne permettent pas non plus de parcourir les cours d’un palais musulman comme l’Alhambra en écoutant ce qu’en disent les calligraphies qui en ornent les murs.
« Le fond du bassin évoque une masse de glace d’où l’eau s’écoule comme un solide au mouvement figé. Du bord de la fontaine, le flot ruisselle vers de longs canaux – larmes longtemps retenues échappant à une amante. » (Poème d’Ibn Zamrak, Cour des lions, Alhambra de Grande, cité par Henri Stierlin, L’Alhambra, Imprimerie nationale, 1991) Image.