Critique d’un éco-quartier à Marseille

 

Il ne s’agit pourtant pas ici d’une friche, mais d’un quartier bruissant de la vie de ses 3 000 habitants. Lieu de convivialité et de travail, le marché aux puces – alimentaire, textile et articles de maison –, troisième centre commercial de la ville irriguant l’ensemble des quartiers Nord, est devenu en vingt ans un symbole puissant de l’ingéniosité populaire. Aux Crottes (du provençal « crotos », « cavités ») sont installées des activités d’import-export en lien avec le port, ainsi que des grossistes en fournitures pour le BTP, et un secteur automobile florissant composé d’une myriade de garages et autres casses. Avec ses 700 entreprises et ses 5 000 emplois, le quartier est, au même titre que la vallée de l’Huveaune, l’un des principaux centres économiques de la ville. Cette zone au foncier bon marché et bien desservie par deux autoroutes est même stratégique pour le port, par le biais d’entreprises lui permettant « d’accrocher » la marchandise à terre. Bien sûr, avec un habitat délabré et des espaces publics inexistants, il devient de plus en plus difficile de vivre dans un quartier abandonné par les pouvoirs publics depuis plus de vingt ans. L’organisation des transports en commun entretient une coupure entre les quartiers Nord et le reste de la ville confinant à l’apartheid. Mais l’identité industrielle du quartier a maintenu des loyers raisonnables, permettant à une population précaire de vivre à proximité immédiate du centre. Ce foncier peu onéreux constitue aussi le point d’ancrage d’activités liées à un port au destin fragile.

Pourtant, au lieu d’améliorer la coexistence de ces activités avec les riverains, d’enrichir avec eux et pour eux leur cadre de vie, d’aider le port à redresser la barre, Euromed préfère la politique de la table rase et déclenche une véritable guerre contre la réalité des quartiers. Au nom de la sécurité et de l’hygiène, on lâche aujourd’hui la police contre la vente « à la sauvette », contre les Roms, contre les sans-papiers, afin de mettre au pas, de diviser les communautés et pour, surtout, asphyxier le quartier. L’objectif est de libérer deux millions de mètres carrés en rachetant au prix du marché des terrains qu’on prévoit de revendre cinq fois plus cher. Cette spéculation éhontée, au prix de la relégation en périphérie des activités et des habitants actuels, a pour but d’implanter un quartier résidentiel écologique et un parc de bureaux de plus de 500 000 mètres carrés. Pour changer radicalement l’image du territoire, les grands moyens seront employés : transfert d’une gare de fret, dépollution des terrains, recouvrement d’une partie de l’autoroute, construction d’un parc de quatorze hectares, d’un « pôle multimodal », d’équipements métropolitains et, en front de mer, des tours conçues par des architectes de renom… Exit le marché aux puces et son réseau d’entraide populaire : un plus chic « marché des cinq continents » prendra sa place entre hôtels de luxe et un palais des congrès destiné à accueillir meetings de chefs d’entreprises et pompeuses manifestations culturelles.

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