Manuels qui manipulent l’histoire : circulez, il n’y a rien à voir.

Le manuel d’histoire ne pourrait pas manipuler les esprits, puisqu’il est manipulé par les professeurs qui n’en utilisent qu’une partie et l’adaptent à leur façon.
C’est la thèse de la très centriste Laurence de Cock dans le Monde diplomatique. Elle montre un bel exemple de détournement de question posée pour ne pas avoir à avouer la trop fréquente orientation idéologique des manuels.

Cette négation du problème s’appuie sur un artifice rhétorique. Après avoir affirmé que « le manuel continue de nourrir une certaine suspicion, laquelle naît d’une question légitime : quel type d’enseignement assure-t-on aux enfants ? », elle ne dit pas de quoi sont soupçonnés les manuels. Laurence de Cock décale aussitôt la question sur le type d’enseignements avant de développer l’évolution de la méthode pédagogique des manuels. En chemin, on a oublié la question de savoir si les manuels manipulent les enfants.

Son article joue sur deux sens du mot manipuler selon qu’il s’applique aux idées transmises aux élèves où à l’objet pédagogique. Il nie la manipulation fréquente des esprits en décrivant le fait que tous n’utilisent pas les manuels de la même façon.

« Un décalage important entre le récit prescrit et le récit transmis », par exemple quand les professeurs coloniaux adaptaient leur discours pour ne pas dire directement « nos ancêtres les Gaulois » permet de faire penser que la lettre du texte des manuels n’est pas significative.

Les adaptations des manuels par les enseignants permettent à Laurence de Cock de faire penser que l’esprit dominant dans les manuels n’est pas celui des professeurs. « Il existe par ailleurs, dans le petit monde de l’histoire-géographie, une tradition de distance vis-à-vis des activités didactiques proposées par le manuel. La plupart des enseignants préfèrent les concevoir eux-mêmes, en utilisant certes les ressources du livre, mais en adaptant le questionnement. Rares sont ceux qui admettent en transposer une page sans retouches personnelles. Beaucoup disent pratiquer une compilation de plusieurs ouvrages pour composer leurs cours. »

La très grande diversité des enseignants et le fait que les manuels contiennent eux-mêmes des documents très divers ne permettent cependant pas d’effacer le fait que ces livres révèlent une histoire trop souvent orientée. Rédigés par des professeurs et choisis par des équipes d’enseignants ils en montrent les préoccupations récurrentes par leurs insistances et leurs silences. N’y trouver aucun exemple de femme de pouvoir ou d’action dans le chapitre sur l’Europe médiévale ou dans le chapitre contemporain de dans la moitié des manuels devrait faire réfléchir sur l’image des femmes dans l’enseignement. Il serait peut être bon de réfléchir à la question au lieu de détourner l’attention pour nier le problème.

Image.

Vincent Badré pour une fois d’accord avec Laurence de Cock

Je suis d’accord avec elle sur un point, il est bon de faire découvrir les civilisations non européennes. Il faut cependant le faire sans anachronisme et sans les ramener à nos propres idées et aux valeurs d’aujourd’hui en exagérant la tolérance musulmane ou en plaquant notre notion de l’Etat sur les royaumes africains.
Sur ce sujet, j’ai toutefois une inquiétude. Sur France 2 Laurence de Cock affirme qu’on « est dans un monde globalisé, il faut l’accepter. » Se ferait elle l’apôtre du renoncement, de l’acceptation du réel et de la fatalité d’une globalisation qui écrase les peuples et uniformise les cultures ?
Elle critique aussi le « Protectionnisme historique ». Sa condamnation des frontières et des œillères s’étend elle aussi aux frontières douanières ? C’est suspect. Sa critique du protectionnisme s’étend elle à l’économie ? Laurence de Cock rejoindrait-elle les partisans de la vague bleue du néolibéralisme le plus débridé ? C’est inquiétant et presque nauséabond.