Nouveaux programmes d’histoire : des allègements qui s’éloignent d’une histoire diversifiée et concrète

Recul du monde des ouvriers et de l’étude de l’entreprise, effacement de la culture ancienne et des racines ; légère baisse de l’ouverture aux lointains et augmentation de la part relative d’étude des totalitarismes, des guerres mondiales et de la décolonisation.

La cure d’amaigrissement que les programmes d’histoire ont subi en cette rentrée n’a pas touché tous les sujets de la même manière. Les aspects les plus novateurs des programmes de terminales littéraires et économiques et sociales s’effacent.

Il n’y aura plus d’étude des patrimoines des villes fondatrices de notre culture : Jérusalem, Rome et Paris. La mémoire longue s’efface et ne reste que le souvenir obsédant des mémoires de la seconde guerre mondiale ou de la guerre d’Algérie.

Cela s’accompagne d’une fermeture de l’espace consacré à l’étude des « croyances » et des rapports entre « religions et société » aux Etats-Unis depuis les années 1890. Les élèves n’auront plus l’occasion d’une découverte de « l’Autre » en se confrontant aux aspects parfois déroutants d’une culture bien moins laïque que la nôtre.

Les hommes concrets du monde de l’entreprises s’effacent eux aussi largement des programmes. Le chapitre qui était consacré à « l’évolution du système de production et ses conséquences sociales » est supprimé en troisième et l’étude équivalente est devenue optionnelle en classe de première, en concurrence avec l’histoire des femmes ou de l’immigration. L’étude du parcours d’une entreprise précise ou des conditions de vie des ouvriers ne semble manifestement plus quelque chose d’important alors quela France reste une puissance industrielle et qu’il y a encore plus de 20% d’ouvriers dans la population active.

La « gouvernance » par contre, c’est important. En terminales L et ES n’y a pas de réduction de l’étude des « échelles de gouvernement » : « Etat, gouvernement et administration » en France, « Europe politique » et « la gouvernance économique mondiale depuis 1944.

D’autres sujets sont sanctuarisés, le « progrès scientifique » en troisième et généralement les études des régimes totalitaires et des guerres mondiales.

Les études de ce qui ne nous est pas tout à fait proches sont pour leur part abordées plus rapidement,  comme la Chine de 1919 à 1949, le général de Gaulle ou  la construction européenne.

Peut on dire pour autant que les rédacteurs des programmes n’ont pas écouté les critiques qui leur ont été faites ? Ce n’est pas tout à fait le cas. Ils ont répondu à ceux qui voulaient des programmes moins lourds.

S’ils n’ont pas ajouté de noms de généraux de la première guerre mondiale, ils ont tout de même fait une toute petite place au « Tigre ». Clemenceau est cité nommément dans le programme de troisième.

Et la chronologie ? Pour sortir de la polémique, on a ajouté au programme de troisième l’avertissement suivant : « Le professeur a la latitude de construire un cheminement dont il assume la responsabilité en traitant éventuellement les thèmes dans un ordre différent ou en procédant à des regroupements qu’il jugerait utiles et pertinents ». Le texte du programme renonce aussi à un chapitre thématique unique sur la construction européenne, qui est placée avec la guerre froide, puis dans l’étude de la géopolitique actuelle.

Pour aller plus loin : Hubert Tison de l’APHG est plutôt satisfait de programmes resserrés, tout comme Jean-Baptiste Noé et même le groupe Aggiornamento hist-geo, qui insiste cependant sur une réforme de leur élaboration. Le Monde signale le maintien de grands chapitres thématiques et relaye ceux qui critiquent la notion de liste de connaissances à acquérir en présentant les pays qui demandent des thèmes et des méthodes sans préciser les sujets d’étude. Voir aussi la revue Le débat à ce sujet.

Pierre Beylau du Point s’indigne d’intitulés trop idéologiques ou abstraits et rappelle qu’il est nécessaire de connaître l’histoire du Moyen Orient (étudiée en terminales L et ES). Un blogueur enseignant de Rue 89 parle d’une histoire hors sol, « sans travailleurs, sans immigrés, sans société » et sans étude du développement des anciennes colonies.

Images :  Inauguration du 104Aurel pour le Monde,

Les économistes des manuels d’histoire : majoritairement keynésiens ou socio-démocrates.

Dans le chapitre sur la « gouvernance économique mondiale » des manuels actuels de terminale, sur 49 documents consacrés à des économistes, on trouve 11 images, textes ou biographies de Keynes, 6 des architectes du système financier d’après guerre Morgenthau et Dexter White, 5 de Joseph Stiglitz, 8 de (néo)libéraux comme Reagan ou Thatcher, 2 d’altermondialistes contre 2 de soutiens du FMI et 10 de conseillers ou de proches de dirigeants de gauche modérée : Clinton, Obama et dans un manuel : Jacques Mistral, Dominique Strauss Kahn et Jacques Attali, Pierre Jacquet, Jean Pisani Ferry, et Laurence Tubiana qui ont été conseillers respectivement de Lionel Jospin, Jacques Delors et Lionel Jospin.

Un seul manuel se distingue en donnant la parole à d’autres économistes comme Paul Krugman et Nouriel Roubini et en organisant son propos autour d’une critique par Maurice Allais des excès de l’endettement et de l’économie financière développée par Alan Greenspan. [pour aller plus loin, voir les chapitres correspondants dans L’histoire fabriquée ?, toujours disponible en librairie].

Image : Keynes et Morgenthau.